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généralement admis, chacun deux ne suivait que sa pensée particulière et le cours des circonstances : or, les affaires bulgares se présentaient dans des conditions tout autres qu’en 1878. On avait voulu prévenir alors dans ces contrées la prédominance exclusive du Cabinet de Saint-Pétersbourg ; mais, depuis, le gouvernement du prince Alexandre et la pratique des institutions libres avaient écarté ce danger : le sentiment national avait pris le dessus : la Russie subissait de ce côté une déception profonde, et cette évolution qui déroutait les plans du tsar avait du même coup rassuré les autres Cours en leur inspirant de meilleurs sentimens envers les élémens bulgares. Elles envisageaient donc une combinaison plus ou moins unitaire avec un certain calme, et ne songeaient certes pas à s’y opposer par les armes. La Russie en jugeait autrement : l’union bulgare, faite en dehors d’elle et par l’initiative de populations qui échappaient à sa tutelle, prenait un caractère imprévu qui justifiait ses défiances. La question avait changé de face : l’Europe ne craignait plus de fortifier un peuple qui voulait jouer un rôle personnel : en le laissant devenir compact et se soustraire ainsi de plus en plus à la direction de Saint-Pétersbourg, elle arrivait au résultat qu’elle avait cherché à Berlin par le système inverse. L’hostilité du tsar était significative et encourageait à Vienne et à Londres des intentions moins sévères. L’Allemagne et l’Italie en jugeaient de même, et le gouvernement de la République, fidèle à ses principes, se prononçait contre la répression des vœux exprimés par les populations.

La Turquie, au fond, estimait moins qu’on ne le croyait la souveraineté factice et aléatoire qui lui avait été réservée en Roumélie orientale. Instruite, d’ailleurs, par une longue expérience, des fâcheuses conséquences que ses procédés sanglans dans les districts rebelles lui ont souvent suscitées, elle hésitait à s’y exposer et à provoquer ainsi peut-être des ingérences indéfinies : elle pouvait croire en outre que les Puissances ayant constitué la province autonome auraient à cœur d’y rétablir l’ordre légal et dispenseraient ainsi le sultan d’une tache périlleuse. Sans doute elle fût entrée en Roumélie, si elle eût espéré y restaurer le plein et absolu gouvernement de l’Islam, mais, comme le meilleur succès qu’elle eût à attendre n’était que la confirmation d’une autonomie suspecte, elle considérait que ce résultat ne valait pas les risques de la lutte dans une province