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de l’Europe : mais on était convaincu que la Porte, indignée, d’une insurrection qui lui enlevait une de ses provinces, la réprimerait par les armes avec d’autant plus d’empressement que le traité de Berlin J’autorisait à faire entrer ses troupes en Roumélie, dans le cas de troubles, et à y rétablir l’ordre légal.

Toutes ces prévisions, parfaitement logiques, furent cependant démenties par les faits, et l’on vit ainsi combien les théories modernes et les événemens avaient modifié la politique orientale. Les Cabinets qui avaient, en 1878, poursuivi avec le plus grand zèle la division de la Bulgarie montrèrent, dès leurs premiers pourparlers, des dispositions assez froides pour la conservation de leur œuvre. Après avoir, bien entendu, infligé un blâme sévère au soulèvement rouméliote, ils laissèrent voir une étonnante indulgence, parlèrent de mesures conciliantes, d’arrangemens favorables aux vœux des populations. La Russie, au contraire, se plaça résolument sur le terrain du Congrès de Berlin, et se déclara le champion de l’état de choses qu’on avait alors organisé contre elle. Les Grecs et les Serbes manifestèrent une irritation impatiente et l’intention d’entrer immédiatement en campagne. Quant à la Turquie, au lieu d’user de sa force supérieure et de son droit, elle s’abstint d’occuper la province rebelle, et se contenta d’invoquer cette même intervention européenne contre laquelle elle n’a jamais cessé de protester.

C’était là un spectacle singulier. Que la France, l’Italie et même l’Allemagne, assez indifférentes aux affaires bulgares, ne prissent aucune initiative, on se l’expliquait aisément. Mais que l’Angleterre, promoteur à Berlin de la décision qui avait créé la Roumélie orientale ; que l’Autriche, si sympathique aux intérêts serbes et si jalouse de sa situation sur le Danube, parussent presque bienveillantes aux prétentions des Bulgares, on avait lieu d’en être surpris. On ne supposait pas davantage que le mécontentement des Serbes et des Grecs prît sur-le-champ un caractère belliqueux : la longanimité de la Porte, et surtout l’opposition passionnée de la Russie, déconcertaient tous les calculs.


II

Des motifs de haute valeur dirigeaient cependant la conduite des États intéressés. Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, aucun système, soit traditionnel, soit libéral, n’étant