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Pendant six ans, j’ai fait partie du Conseil général de l’Aisne. C’est un des meilleurs souvenirs de ma vie. Dans une salle carrée, décorée avec simplicité de lambris blancs, sont assis, autour d’une table en fer à cheval, couverte d’un tapis vert, les trente-sept- représentans des cantons, le président ayant à sa droite le préfet du département. Les délibérations sont graves, mesurées, sur le ton d’une conversation soutenue et digne ; peu d’éloquence, peu de longueurs, du bon sens, une argumentation utile, de la compétence. La bourgeoisie, qui a gardé, jusqu’ici, comme une sorte de monopole, la représentation dans les Conseils généraux, se montre digne de cette faveur que lui fait le suffrage universel. Elle apporte, dans ces assemblées, son esprit appliqué et méticuleux, son bon sens un peu froid et court, sa finesse avisée. Les affaires du département sont sérieusement étudiées par le Conseil lui-même, par ses commissions spéciales et par la commission départementale qui, dans l’intervalle des sessions, donne à l’assemblée une sorte de permanence et de continuité. La vicinalité, les voies ferrées, l’assistance publique, les questions agricoles et industrielles, les affaires des communes, qui sont de la compétence du Conseil général, sont parfaitement conduites ou contrôlées. Le département est loin d’être obéré par un budget local de quatre millions de francs qui se dépense sous ses yeux’ et dont il apprécie l’emploi.

Les hommes qui font partie du Conseil général, quelque soit le parti auquel ils appartiennent, sont certainement, par l’intelligence, par l’instruction, par le mérite, à la tête de l’étroite circonscription qui les a nommés. La plupart d’entre eux conservent leur mandat durant de longues années et acquièrent, ainsi, une précieuse expérience. Ces assemblées, à en juger d’après celle dont j’ai suivi les travaux, seraient vraiment excellentes de tous points, si une légère tendance oligarchique et une considération un peu trop favorable aux intérêts de la classe bourgeoise ne leur fermaient parfois les yeux sur les besoins et les aspirations légitimes de la démocratie. Quoi qu’il en soit, il ne me semble pas qu’il y ait, dans notre organisation constitutionnelle, d’assemblée où l’on puisse acquérir une connaissance plus exacte des affaires publiques. C’est là vraiment qu’apparaissent les aptitudes de la race à se gouverner elle-même. Les louanges que recueillent souvent, chez nous, certaines institutions étrangères, pourraient, en partie, du moins, être accordées à ces assemblées