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On en était là à Montceau-les-Mines, lorsqu’une diversion subite s’est produite à Chalon-sur-Saône. Personne n’a oublié que, dans cette ville, des désordres graves ont éclaté, il y a peu de temps, et qu’ils ont été réprimés avec sévérité. Mais des fermens de haine et de révolte n’ont pas cessé d’y agir sourdement, attendant l’heure favorable pour faire explosion. Le moment a paru venu. La grève de Montceau-les-Mines a exalté les esprits à Chalon avec plus de force encore qu’à Montceau même, et on y a assisté à un spectacle qui n’a pas tardé à devenir tout à fait inquiétant. Quelques ouvriers se sont mis en grève dans une usine. On n’a jamais su pourquoi, et on ne s’est pas beaucoup soucié de le savoir. Il a été tout de suite évident que la grève n’était qu’un prétexte ; qu’elle n’avait nullement, de la part de ceux qui l’avaient provoquée, un caractère professionnel : qu’on n’était pas en présence d’une revendication ouvrière, mais d’une émeute pure et simple. Pour peu qu’on écoutât parler les émeutiers, on reconnaissait aussitôt qu’il ne s’agissait pas pour eux d’obtenir l’amélioration de leur sort comme travailleurs : ils ne parlaient de rien moins que de « faire la révolution. » Le drapeau qui précédait leurs bandes à travers les rues était le drapeau rouge ou le drapeau noir. Dès le premier jour, ils se sont précipités sur les usines fermées, cassant les vitres à coups de pierres et enfonçant les portes avec violence. Le sous-préfet, M. Trémont, qui n’avait pas prévu le danger, manquait des forces nécessaires pour le conjurer : il a parlementé sans succès avec l’émeute, et s’est vu obligé de la laisser passer. On pouvait, ou plutôt on devait craindre pour le lendemain les pires excès. Heureusement, des troupes sont arrivées rapidement, et, lorsque l’émeute s’est reformée dans les rues, rassurée par l’impunité de la veille, elle a rencontré un obstacle infranchissable. Nous rendons volontiers justice à la résolution et à la fermeté des autorités civiles et militaires. Il y a eu un moment plein d’angoisse : la moindre maladresse, mais aussi la moindre hésitation, auraient pu amener de très graves accidens. Comment les choses allaient-elles tourner ? Tous les journaux en ont rendu compte. Les troupes présentaient la baïonnette au bout du fusil. Au premier rang de la foule étaient des hommes généralement tout jeunes, pâles, les yeux ardens, dans un tel état d’exaltation qu’ils semblaient ne plus pouvoir se contenir. Ils découvraient leurs poitrines et mettaient les soldats au défi de les frapper. Grâce à Dieu, le sang, en effet, n’a pas coulé. Les fusils se sont baissés ; mais, par un brusque mouvement, les soldats ont acculé les émeutiers contre les murs des maisons et se sont emparés des principaux d’entre eux, ou du moins