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heure, la dernière, la musique a su l’enfermer en peu de secondes, en un récitatif éperdu, enivré, qui plane au-dessus de l’orchestre frémissant. Voilà le faite ou le paroxysme de la vie, de l’être, et, par un admirable contraste, c’est de ce faîte que Faust est brusquement précipité dans la mort. Ainsi la conquête de l’activité, puis sa défense, et sa ruine enfin, héroïque encore et grandiose, telles sont, dans l’œuvre musicale qui ressemble le plus à l’œuvre poétique, les trois étapes de la destinée de Faust ; voilà les trois momens que nous avons essayé de retenir, car, ainsi que dit Gœthe, et Faust lui-même : ils sont si beaux !


D’autres nous ont été donnés, au concert toujours, et dont la beauté ne fut pas moindre. M. Taffanel a fait exécuter au Conservatoire le troisième acte d’Armide. On l’appelle communément : l’acte de la Haine. Mais il est d’amour, ou de l’amour aussi, et les extrêmes « e se touchent ou ne se heurtent nulle part avec plus de violence qu’en ce bref et sublime conflit. Mme Raunay, comme elle avait été Iphigénie, a été Armide. Oui, vraiment elle l’a été, et, sur les périlleux sommets de ce rôle terrible, ni sa voix, ni son âme n’ont défailli.

Trois auditions de l’Or du Rhin, au Nouveau-Théâtre, n’ont rien laissé à regretter, sinon que le prologue, à demi ravissant, à demi fastidieux, de la Tétralogie ne soit pas ravissant tout entier. L’orchestre, presque parfait sous le bâton de Lamoureux, est devenu parfait sous la baguette de M. Chevillard. Il est plus que parfait lorsque l’âme de M. Weingartner passe en lui. L’interprétation collective et anonyme qu’est |une exécution d’orchestre se concentre, quand le jeune chef y préside, dans une interprétation personnelle, unique et splendide. Jamais les maîtres de la musique pure, les Joachim ou les Rubinstein, ne nous ont ému davantage. M. Weingartner n’est pas le roi de l’orchestre : il en est le dieu. Le premier jour, en conduisant l’éblouissante symphonie en ut de Schubert et surtout l’ouverture de Léonore, il parut un Apollon rayonnant.


CAMILLE BELLAIGUE.