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symphonique, et que M. Chevillard nous a donné cet automne, est hongrois, étant de Liszt ; et pourtant ce n’est pas Liszt, mais Berlioz, à qui prit fantaisie de conduire le sombre docteur dans les plaines de Hongrie. Le seul Faust allemand, c’est celui de Schumann, que M. Colonne a fait entendre plusieurs fois il y a quelques semaines. Il est également le plus Faust des quatre, autrement dit celui qui ressemble le plus au poème et surtout au héros. Le Faust de Gounod, on l’a remarqué, s’appellerait aussi bien Marguerite, ou Gretchen. Quant à Berlioz, quoiqu’il ait admirablement compris certains aspects du personnage, il en a négligé le principal. Sans compter que, par le titre seul de son œuvre : la Damnation de Faust, il a péché contre la théologie et même contre la philosophie. Il a contredit au caractère ainsi qu’au destin du héros. Schumann seul, en vrai fils de l’Allemagne, a respecté l’un et l’autre.

M. Caro, dans son beau livre sur la Philosophie de Gœthe, intitule un de ses chapitres : « L’idée de l’activité, unité du poème, principe du salut de Faust. » Le salut de Faust, Schumann l’a célébré dans la dernière partie de son œuvre, merveilleuse suite de scènes ou de cercles sonores, toujours élargis et de plus en plus rayonnans. Les trois épisodes qui forment la seconde partie ont pour sujet l’activité de Faust, ou son action. « C’est l’action maintenant qui va prendre sa vie, c’est l’action qui tente sa liberté rajeunie, réveillée comme en sursaut après les angoisses d’un rêve tour à tour enchanté et sinistre. L’action, si l’on prend ce mot dans son sens le plus haut et le plus large, l’action opposée à l’égoïsme de la passion et à celui de la pensée soli-v taire, opposée à la spéculation qui se dissipe dans l’abstraction vide, ou à l’agitation non moins stérile des vains désirs qui étreignent le nuage ; l’action enfin, soit qu’elle s’exerce dans les devoirs positifs de la vie pratique, soit dans les grandes œuvres qui régénèrent un pays ou un peuple, soit dans la culture esthétique et scientifique de l’esprit[1]. »

L’éveil de Faust à cette activité héroïque, voilà le thème de l’admirable scène qui s’appelle : Le lever du soleil. Et voyez comme tout de suite Schumann s’éloigne de Berlioz. Berlioz, en des pages incomparables, mais très différentes, a chanté Faust endormi. Schumann le chante s’éveillant, sortant, comme le soleil qu’il salue, de la nuit qui l’a rajeuni, que dis-je ? absous ; car la nature, selon Gœthe, fait plus qu’apaiser : elle pardonne. Admirable de beauté pittoresque, la scène l’est également de beauté morale. Jamais la musique n’a donné

  1. Caro, Philosophie de Gœthe, ch. III.