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Billaud-Varennes. Au collège d’Arras, où il a professé les sciences, il s’est lié avec l’avocat de l’Oratoire, Maximilien Robespierre, avec un officier du génie, Lazare Carnot. Revenu dans sa ville natale, la Révolution l’y trouve principal du collège. Le confrère Fouché n’a pas reçu les ordres majeurs ; il faut réformer sur ce point la légende du prêtre défroqué, elle est mal fondée : M. Madelin en administre la preuve, nous en prenons acte. Rien n’empêchait donc M. le principal d’épouser en 1792, Jeanne Coiquaud, fille du président de l’administration du district. Petit personnage jusqu’alors, étranger aux mouvemens politiques des trois premières années révolutionnaires, il dut à cette alliance et à quelques protections bien choisies son mandat de représentant à la Convention. « Monsieur Fouché fils » se révèle déjà tout entier dans le manifeste qu’il adresse aux électeurs nantais : c’est un modèle du genre insinuant, pour ne pas dire hypocrite. La phraséologie vague du factum ne compromet le candidat avec aucun parti. Son âme froide n’a pas été touchée par les passions qui agitent en sens divers tous ses contemporains ; elle saura les feindre plus tard, quand ce sera nécessaire, elle ne s’y abandonnera jamais. Indifférent à ces querelles d’idéologues, le professeur espérait s’avancer dans les sciences ; une autre carrière s’ouvre, qui promet davantage : il y entre délibérément, avec le coup d’œil hardi de ses ancêtres, les gens de mer, avec la prudence discrète de ses éducateurs, les gens d’Eglise.

Nantes était une ville modérée, girondine, rolandiste. Son obscur représentant alla siéger à la droite de la Convention, près de l’ami Daunou. Il se tint là, toujours muet et fort sage, jusqu’au 15 janvier 1793. Le soir de ce jour, il fit lire à Daunou le discours qu’il avait préparé pour expliquer le lendemain son vote contre la peine capitale, dans le procès du roi. Le 16, la députation de la Loire-Inférieure était appelée à voter sur la condamnation de Louis Capet. Les amis de Fouché attendaient la courageuse harangue dont ils avaient connaissance : ils furent au comble de la stupéfaction quand une faible voix, qui ne s’était jamais fait entendre à la tribune, proféra ce seul mot : La mort ! Ici comme en mainte circonstance semblable, le biographe de Fouché défend son personnage contre le reproche de lâcheté : il met ces volte-face subites au compte d’un calculateur très habile, sinon très édifiant ; le politicien aurait tranquillement pesé les chances ; l’ambition plus que l’épouvante l’aurait rangé chaque