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l’attente de l’avancement, au cours du long stage des sous-préfectures. Le préfet était, à l’origine, le chef et le gouverneur du département. Agent d’un pouvoir fort, on lui commandait et on lui obéissait. Aujourd’hui, placé entre le suffrage universel qui règne et le pouvoir central qui voudrait gouverner, le préfet est justement entre l’enclume et le marteau. Car, comme c’est lui, en somme, qui met la main à la pâte, c’est en lui que se précise le conflit permanent de l’autorité et de la liberté.

Il dit au pouvoir les exigences d’en bas ; il dit aux foules les besoins d’en haut. Il n’est plus question, bien entendu, de l’ancien préfet à poigne qui menait ses maires comme un régiment. Le préfet ne commande plus : il demande. A lui, plus qu’à nul autre, d’exercer la fameuse dictature de la persuasion. Il est, à la fois, l’organe du gouvernement, l’instrument d’un parti, le porte-parole de la région qu’il administre. Avec tout cela, il doit rester impartial, prévoir les difficultés et les conflits, les régler ou les apaiser, tout mener d’un doigt léger et prompt, ménager les susceptibilités, exagérer la discrétion, la réserve, la prudence et, pourtant, rester gai, ouvert, bon enfant ; il doit donner de sa personne, parler en public, porter l’uniforme sans affectation ni rusticité. Il doit être toujours en vue, toujours au guet, et s’effacer toujours. Le chapitre du mariage est très important ; car Madame la Préfète passe sa vie sous l’œil de la « Société, » c’est-à-dire qu’elle est constamment soumise à la plus exigeante et la plus perspicace des inquisitions.

Et tout cela n’est rien, si l’on songe aux autres soucis du préfet : il est en contact constant avec les élus du département, sénateurs, députés, conseillers généraux, conseillers d’arrondissement, maires et conseillers municipaux ; il est visé par toutes les ambitions, toutes les réclamations, toutes les revendications, toutes les déceptions ; il est fusillé à brûle-pourpoint par la presse locale, bien plus hardie et moins indulgente (dans l’émoi des passions immédiates) que la grande presse de Paris, et il est obligé enfin de manier, ménager, concilier tous les sentimens, tous les intérêts et toutes les convoitises qui se heurtent autour de lui ou qui se précipitent vers lui et sur lui. Et il n’est préparé à cette tâche ardue que par le contact pris avec les populations, dans le tourbillon d’une carrière toujours on mouvement et, en plus, une fois chaque année, par le voyage rapide accompli dans les communes, et où il voit passer sous ses yeux