Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
REVUE DES DEUX MONDES.

pris une chose qui est au-dessus de mes forces et il m’en a puni. »

— Nous vous verrons ici chaque dimanche, lui répondit Angus Bain ; car le Seigneur m’est apparu et il m’a dit : « Attends l’homme que la parole de Dieu remplira de trouble et qui tremblera en te l’expliquant ; c’est à ce signe que tu le reconnaîtras. » Et ce fut un excellent pasteur, qui faisait trembler les hypocrites de Sion.

Lachlan, qui se souvenait des débuts plus que modestes du jeune pasteur de notre église libre, se montrait plein de tendresse et d’indulgence envers lui. Il lui passa même, sans les relever, quelques essais oratoires d’un genre assez hasardeux ; mais certain sermon d’automne le rappela à ses devoirs de censeur.

Depuis quelques jours, un ouragan de vent et de pluie sévissait sur la vallée, arrachant les dernières feuilles des arbres et les amassant en tas sur le sol humide. Le pasteur, qui regardait par la fenêtre ce jardin du presbytère où, durant l’été, lui étaient venues tant de saintes pensées, sentit son cœur s’appesantir au dedans de lui, car la nature entière était désolée ; seule, fanée, à demi effeuillée, une rose était encore attachée à sa tige, que la bise secouait brutalement. Il lui sembla que sa jeunesse, toute fleurie de promesses et d’espérances, était, elle aussi, à la veille de se faner, et un sentiment de solitude profonde s’empara de son âme. Le soir venu, il ne se sentit pas le courage de se mettre au travail et monta se coucher angoissé, plein d’une tristesse amère. La pluie cessa pendant la nuit et le vent du nord, qui purifie la nature, qui ranime le cœur de tout homme et semble lui rendre des forces, s’éleva. Le lendemain fut une de ces journées glorieuses qui annoncent l’hiver et, après une course par les chemins couverts d’une couche de feuilles sèches qui craquaient sous ses pieds, lorsque, relevant la tête, il fut arrivé tout au haut de la lande, notre pasteur se sentit de nouveau calme ; ses pensées tristes de la veille s’en étaient allées. Le vent avait cessé, la vallée s’étendait à ses pieds, claire et distincte, dans l’air pur, depuis la masse sombre des pins qui la fermait à son extrémité supérieure, jusqu’à la forêt touffue des chênes et des hêtres qui la séparait de la grande Strath. On l’avait chaudement accueilli dans toutes les maisons où il était entré et, de l’endroit où il était arrivé, il regardait avec amour chacune des petites fermes espacées dans la plaine, avec sa ceinture de sapins destinée à la pro-