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Au centre, la Grand’Rue, seule, est animée. Tout le commerce est en façade sur son étroit trottoir. De vieux logis à pignons aigus, quelques grands hôtels, de rares maisons plus modernes et bien modestes la bordent dans un alignement incertain. Elle est, depuis des siècles, la grande artère de la ville, et elle a, à ses deux bouts, les deux édifices dominans : la cathédrale et l’église Saint-Martin. Ainsi, la religion des ancêtres veille encore sur l’activité de la ville et sur son repos.

La cathédrale est un édifice illustre. Elle est, comme ses sœurs de Paris, de Chartres, de Reims, sous l’invocation de Notre-Dame. Quand, vers le XIe siècle, les villes de l’Ile-de-France se mirent à rivaliser entre elles d’ardeur et de luxe pour la construction des églises, et qu’elles inventèrent, pour cela, l’art gothique, Laon ne pouvait manquer de faire comme Noyon, comme Beau vais, comme Reims, qui venait de bâtir Saint-Remi. Si petite, et resserrée qu’elle fût, elle n’était jamais au dépourvu, quand il s’agissait d’élever une église ou de fonder un monastère. Elle avait de l’argent dans la caisse de ses bourgeois, des pierres dans les carrières de sa colline, et des bœufs dans les plaines environnantes, pour faire les charrois. On l’appelait la ville sainte : elle construisit, sur son étroit plateau, jusqu’à soixante-trois églises, dont plusieurs magnifiques. Mais sa cathédrale fut et reste son orgueil.

Planter, au point culminant du plateau, une masse énorme vue de loin et dominant le pays ; la faire dominer encore par des tours puissantes ; sur ces tours, élever des clochers encore ; doubler la hauteur de la colline, faire pour Dieu autant que Dieu avilit fait pour la ville et s’approcher de lui aussi haut que l’œuvre humaine peut monter, tel fut le rêve de ces petits bourgeois cantonnés et tardigrades, et voilà ce qu’ils réalisèrent dans des proportions prodigieuses. Pendant des siècles, leur travail et leurs ressources s’accumulèrent dans ce bloc énorme. Ils entassaient leurs économies en ce placement sur le ciel. Une masse de pierre, de 121 mètres de long, de 20 mètres de large, de 40 mètres de haut sous la lanterne, sert de base aux quatre tours ajourées (qui devaient être six) et qui ont de 00 à 65 mètres de hauteur. Cette fière construction-ne servait elle-même que de soubassement et de soutien à la flèche, à l’hymne de pierre qui s’élançait vers le ciel et qui racontait au loin l’orgueil et la foi de la cité. Plantée sur la tour de droite du portail, elle s’élevait à 123 m. 40,