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laisser Condé passer le Rhin. Il le lui a promis. Mais, désavoué par le cabinet de Vienne, il s’est vu contraint de retirer sa promesse. Condé a même reçu l’ordre de s’éloigner des bords du fleuve et de passer sur les derrières de l’armée autrichienne. Il a dû se remuer comme un diable, crier, protester pour faire rapporter cette décision qui, en l’éloignant de Pichegru, anéantissait ses espérances. Les Autrichiens n’ont pas cessé de se dédier de lui et de ses agens. « Ayez soin, écrit le 18 février Alvinzy à Klinglin, à propos d’un voyage de Fauche-Borel au camp autrichien, qu’on ne se fie pas trop à tous ces émissaires. » Avec le temps, ces défiances ne feront que s’accroître, ainsi qu’en témoigne cette lettre du général de Bellegarde au même Klinglin, en date du 16 mai. « Vous me demandez si la correspondance avec Pichegru pourra devenir utile à continuer. Si je devais en juger par le passé, je dirais que non, car nous ne lui avons dû jusqu’ici aucune nouvelle intéressante, aucun renseignement utile, aucune donnée sur laquelle nous pussions tabler. Mais maintenant, comme un joueur en perte, il paraît que nous ne pourrons nous dispenser de courir après notre argent et que, dans l’espoir que cette correspondance pourra conduire à quelque chose un jour, il faudra ne pas l’abandonner, surtout si ce n’est pas à nous à en porter les frais. »

Pichegru est si loin des intentions qu’on lui prête, qu’il veuf quitter son commandement et qu’à l’approche des élections qui vont suivre l’avènement du Directoire, il songe à solliciter les suffrages des électeurs, soit dans le Doubs, soit dans le Jura, son pays, où quelques-uns de ses compatriotes vont prendre l’initiative de sa candidature. Il a envoyé sa démission au Directoire sans en parlera « ses complices. » Ils croient simplement à une course à Paris. À Condé, qui s’en émeut, ils disent « que c’est pour le bien de la chose. »

Mais, Condé ne se paye pas de mois. Tant de lenteurs après tant de promesses l’impatientent. « Le seul moyen qu’il ait de me prouver sa bonne volonté, disait-il le 26 janvier, c’est de me livrer Strasbourg, ou de me fixer au moins à quelle époque. Je ne doute pas qu’il ne soit dans les mêmes dispositions. Mais cela est vraiment trop long. Il a dit à Fauche que la poire était mûre. Cueillons-la donc. » Le 27 février, devant l’inaction de Pichegru, il insiste : « Je suis persuadé qu’il fait tout ce qu’il peut faire. Mais je lui prédis que, pour peu qu’il tarde trop, ses projets se