Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Contrairement à ces affirmations, les projets qu’elles attribuent à Pichegru ne sont pas ceux qu’est au moment d’exécuter le général. Il n’a pas demandé de congé. Il a fait mieux : il a envoyé sa démission et il l’a si bien considérée comme définitive que, ne comptant pas reprendre son commandement, il rédige dès ce moment des instructions pour Desaix, à qui il va le transmettre et qui l’exercera jusqu’à l’arrivée de Moreau, que Pichegru a déjà demandé comme successeur. Par conséquent, Demougé n’a pas reçu, comme il s’en vante, les confidences de Pichegru. Mais il n’est pas homme à être embarrassé pour si peu. Ne sachant rien, il a inventé sa correspondance en cette occasion n’est qu’une supercherie ajoutée à tant d’autres.

Les lettres de la baronne de Reich présentent le même caractère et attestent avec plus d’évidence encore la cupidité des agens, la misère noire dans laquelle ils se débattent, les procédés indélicats auxquels ils recourent pour en sortir. Parlant de Fauche-Borel, elle nous apprenti au mois de mars que « cette honnête créature a eu une fatigue inconcevable pour aller trouver Crawfurd, s’emparer d’une vigoureuse capricieuse (forte somme), et revenir vers nous comme une fertile rosée. » Mais Fauche-Borel est rentré les mains vides. Crawfurd n’avait pas d’argent. « Fauche a couru chez le prince de Condé pour le conjurer d’une avance. Il m’a laissé vingt-cinq louis pour la correspondance. » Toute mélancolique de sa déconvenue, la baronne envoie à Klinglin le compte de ses dépenses d’espionnage et lui avoue que, pour se payer d’un déjeuner qu’elle a offert à Fauche-Borel. Elle a majoré ce compte d’un louis en l’imputant au ferrage d’une mule qui n’a pas été ferrée. Le lendemain, elle apprend que quatre cent cinquante livres vont arriver. Elle est ragaillardie par l’espoir de « cette petite rosée » et avoue « que, si on pouvait se séparer des angoisses que donne le silence de Pichegru, tout serait pour le mieux, » puisqu’il est évident que la machine républicaine se détraque. Enfin, lorsqu’elle apprend que Condé n’approuve pas le voyage que Pichegru doit faire à Paris et qu’il ne croit pas à son retour, elle s’écrie : « Cette opinion est fâcheuse en ce qu’elle éloignera le prince de Condé de donner cours à l’argent qui nous est si nécessaire. »

Du reste, toute la correspondance de celle insipide phraseuse n’est qu’un aveu de misère, un cri de détresse, et nous la montre toujours réduite aux expédions pour se procurer de