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Autrichiens des Deux-Ponts et de Bombourg ? N’est-il pas visible que Badouville a écrit ce verbiage sans avoir consulté son général, dans l’unique dessein de fournir à ses complices des argumens propres à convaincre Condé de la bonne foi de Pichegru ? En tous cas, il n’y a dans tout ceci que des promisses vagues, des promesses qui ne signifient rien, mais qui prouvent, au contraire, que jusqu’à ce jour, Pichegru n’a rien fait de ce qu’on espère de lui, bien qu’à en croire les émissaires, déjà à cette date, ses exigences pécuniaires aient reçu un commencement de satisfaction. « Chaque fois que je voyais Pichegru, écrit Fauche-Borel dans le Résumé où il rend compte au prince de Condé de ses opérations de septembre à janvier, je lui remettais des fonds : très souvent, je lui en envoyais par Badouville. Cet argent, dépensé par lui avec la plus grande intelligence, a servi à augmenter la confiance que son armée a en lui et à mettre dans sa dépendance les personnes qui lui sont nécessaires pour la grande opération qui se prépare. »

Le vague de cette affirmation, quant au total des sommes qu’aurait ainsi reçues Pichegru, donne d’autant plus le droit d’en contester la vraisemblance que Fauche-Borel, qui ne l’a pas reproduite dans ses Mémoires imprimés, nous donne en revanche l’emploi de la plus grande partie des huit mille louis qu’il avait touchés de Wickham en septembre pour les remettre à Pichegru. Il s’est d’abord alloué deux cents louis pour sa famille, et Antoine Courant en a eu autant pour la sienne. Puis, avant de rentrer en Alsace, il a fait à Lausanne « un achat considérable de montres d’or et d’argent, » pour les offrir aux officiers de l’armée ; à la frontière, il a dû en acquitter les droits. A Strasbourg, il a répandu des brochures en masse, écrites et publiées à ses frais ( ? ) a subventionné un journal. Il « cultive les officiers, » les invite à sa table, leur prête de l’argent. Voulant se faire passer pour négociant, il loue un magasin, l’emplit de marchandises qu’il achète comptant et qu’il revend au rabais et à crédit. Enfin, il devient possesseur d’une maison, sur le prix de laquelle verse un acompte de quatorze mille livres. On voit ainsi les huit mille louis fondre dans ses mains.

Nous avons donc la certitude qu’ils ne sont pas arrivés intacts à Pichegru ; nous pouvons supposer de même qu’il n’a jamais reçu la part de ces fonds que Fauche-Borel dit avoir chargé Badouville de lui remettre ; et, comme, d’autre part, il n’existe pas trace