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contre un ennemi qui se renouvelle sans cesse, alors qu’on ne peut lui opposer des troupes fraîches et qu’il rencontre toujours devant lui les mêmes effectifs, de plus en plus affaiblis par leur dénûment et les vides qui se font dans leurs rangs ?

À cette heure, Pichegru, découragé par l’impuissance à laquelle il est réduit, songe à donner sa démission. Il l’annonce au gouvernement : « J’ai couru les chances heureuses de la guerre. Je crains de les avoir épuisées. Je vous demande, citoyens représentai, de garantir l’armée de celles malheureuses qui pourraient m’être réservées et d’en transmettre le commandement à un autre, qui pourra les faire changer avantageusement. Ma santé s’est beaucoup altérée depuis quelque temps. » Cette lettre est du 11 novembre. Malgré les sentimens qu’elle exprime, Pichegru fait, les jours suivans, tête au péril, et, lorsque enfin il est obligé d’abandonner sa position de la Pfrimm, pour en prendre une autre derrière la Quiech et Landau, il peut se rendre cette justice, que lui rendent également Rivaud, Bacher et tous les témoins de ses efforts, que sa défaite ne pouvait être conjurée qu’autant qu’on l’aurait secouru. Ne l’ayant pas été, il est sans reproches. « L’armée, écrit Rivaud le 11 novembre, manque de tout en fait de moyens pour soutenir la campagne. Si l’armée de Sambre-et-Meuse avait fait son mouvement sur la Nahe, on n’eût peut-être pas essuyé ce nouveau revers. »

On voit ici l’accusation se déplacer et le grief de Jourdan devenir le grief de Pichegru. Quand les défenseurs du premier font un crime au second de ne l’avoir pas secouru, les défenseurs de celui-ci peuvent objecter que l’armée de Sambre-et-Meuse avait l’ordre de venir en aide à l’armée de Rhin-et-Moselle et ne l’a pas fait. La question a été d’ailleurs résolue par un juge que ni les uns ni les autres ne récuseront. Parlant de l’inexplicable retard que mit Jourdan à marcher au secours de Pichegru, Gouvion-Saint-Cyr dit :

« Ce retard provient-il de sa volonté ou de l’impossibilité où il peut s’être trouvé d’arriver plus tôt ? Dans le premier cas, ce serait une grande faute et, dans le second, un malheur. J’ai eu sous les yeux une correspondance dans laquelle on fait une si triste peinture de l’armée de Sambre-et-Meuse à cette époque sous le rapport des besoins et surtout de la discipline que, d’après cela, on ne pourrait plus attribuer le retard dont nous parlons à d’autres causes qu’à l’abandon dans lequel le gouvernement