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et sur laquelle je n’ai que des forces inférieures. Le général Wurmser est toujours sur Mannheim, où il a fait trois tentatives de vive force, dont deux dans la nuit. Il s’est rendu maître les deux fois de la tête de pont du Necker ; mais il a perdu beaucoup de monde et n’a pu y tenir.

« Je n’ai encore vu ces troupes-ci se battre comme il convient qu’une seule fois, c’est lorsque Wurmser vint nous resserrer sur Mannheim. Quoiqu’il eût vingt à vingt-cinq mille hommes, nous lui résistâmes pendant environ six heures sans perdre un pouce de terrain, avec huit ou dix mille hommes seulement. Je suis forcé de convenir que, si j’avais eu des troupes et des généraux comme à l’armée du Nord, je n’aurais pas encore éprouvé mon premier revers. Je vais faire arrêter le général qui commandait la division qui a si bien couru[1]. »

Signalons, en passant, que cette affaire du 1er novembre fournit à Fauche-Borel une occasion de mentir, qu’il ne laisse pas échapper. Dans un résumé de ses démarches, qu’il adressait à Condé, il écrit : « En quittant Mannheim, Pichegru alla trouver Jourdan, avec lequel il eut une conférence. Il en est l’ami particulier, et c’est en suite des déterminations prises dans cette conversation que la déroute de l’armée de Sambre-et-Meuse a eu lieu, ainsi que la perte du grand parc d’artillerie sous Mayence. J’ai su ces détails par Badouville. J’ai su même que Pichegru s’attendait à être poursuivi jusque sous les murs de Strasbourg et que, si cela fût arrivé, tout était arrangé pour réunir son armée à celle de Condé. » Il n’est pas besoin de faire ressortir la fausseté de ces dires, qui associent Jourdan à Pichegru dans l’ai livre de trahison, et que Fauche-Borel n’a pas osé répéter dans ses Mémoires imprimés. Quand il les énonçait, c’était pour obtenir de l’argent de Condé.

Cependant, dans la situation si critique où se trouve Pichegru, il ne peut avoir d’espoir qu’en Jourdan. Il le lui a dit par trois fois ; il le lui répète avec plus de force, le 6 novembre. Sa lettre trahit la surprise et le mécontentement que lui fait éprouver l’inutilité de ses appels.

« Je t’ai engagé à marcher en forces sur la Nahe pour contenir l’ennemi et empêcher qu’il pénètre le long de cette rivière entre les deux armées ou qu’il m’écrase avec la grande

  1. Le général Courtot fut traduit, à Haguenau, devant un conseil de guerre que présidait Pichegru et condamné à trois mois de prison.