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ses pieds, et le soleil couchant disparaître derrière les forêts qui bornent encore, au loin, son horizon.

Même aujourd’hui elle reste, par-dessus tout, administrative et militaire. Plantée sur une excroissance poussée, comme par hasard, au milieu des champs, resserrée sur son étroit plateau, elle n’a pu changer les dispositions prises par ses premiers habitans, ni modifier sa destinée. Elle a été, un moment, la capitale, le refuge suprême de la dynastie carlovingienne. Quand il n’y avait plus de France, il y avait encore Laon. Plusieurs fois, par la suite, elle a été, pour la capitale nouvelle, pour Paris, une protection et un boulevard. Maintenant, drapée dans le manteau vert de ses promenades, serrée dans la ceinture de ses vieilles murailles de grès, étalant sur la colline la traîne de ses vignes et de ses vergers, elle se retourne vers sa grandeur passée, dédaigneuse du mouvement et du bruit qui vient, de par la plaine, déferler et mourir à ses pieds.

J’ai fait, bien des fois, le tour de ses boulevards mélancoliques. Assis sur le banc où le vieux capitaine en retraite vient chauffer ses rhumatismes, j’ai contemplé au loin la plaine blonde, et j’ai recueilli, parmi le silence monacal de la ville supérieure, le bruit tumultueux de la vie moderne qui s’agite, en bas, à l’appel strident et réitéré de la locomotive et sous le long panache incliné des cheminées d’usines. Attiré par l’activité de la ville basse, retenu par le charme si noble de la ville haute, il me semblait reconnaître la double face de notre pays encore engagé dans son passé, toujours attaché à cette grandeur morte, hésitant à descendre dans le tumulte de la vie contemporaine, mais craignant cependant de se laisser dépasser par des civilisations rivales, plus jeunes et plus aventureuses.

La ville haute est comme une nécropole. Par certains après-midi d’été et durant les longues soirées d’hiver, on passerait des heures sur le Tour-de-Ville sans rencontrer âme qui vive. Par le beau temps, les enfans troublent à peine sa solitude de leurs jeux, et, sur les quatre heures, l’employé de la préfecture vient y promener ses trois chiens bâtards, inutiles et goutteux. Les vieux remparts faisant gradins l’isolent d’un côté et laissent la vue libre sur la plaine immense. Vers l’intérieur, le mur de ronde, maintenant inutile, se couvre de la verdure des jardins, et s’ouvre, de loin en loin, sur des rues silencieuses, où l’herbe pousse parmi les pavés ; elles ont des noms tristes et recueillis