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Cette élévation de sentimens et de vues n’était pas exceptionnelle dans ces âmes ardentes qu’on pourrait croire à peine dégrossies. Les documens contemporains en font foi. On la retrouve dans une lettre que, quelques mois plus tard, et justement après la mort de ce même Levasseur, qui s’était laissé prendre en tentant un coup de main sur Saint-Chély dans l’Aveyron, les chouans de ce département, découragés par sa disparition, adressaient, en offrant de se soumettre, au général Boisset, commandant les forces militaires qui les poursuivaient.

« Ne croyez pas, général, lui écrivaient-ils, que c’est la faiblesse ou la crainte qui nous engagent à la démarche que nous faisons aujourd’hui. Nous avons trop souffert pour ne pas mépriser la mort. Nous sommes endurcis aux peines et aux fatigues ; nous avons appris à résister à l’oppression et nous sommes incapables d’une lâcheté. Mais ce que les plus terribles menaces, ce que les plus violentes mesures qui semblaient devoir nous écraser en un instant n’ont pu faire, nous le faisons aujourd’hui par le pur désir de pacifier cette contrée. En conséquence, nous offrons de rendre les armes et de nous soumettre aux lois de la République, promettant de vivre en bons et fidèles citoyens, moyennant une amnistie, dûment accordée par le gouvernement français et dont nous connaîtrions l’existence par la publicité que vous lui ferez donner, si on l’accorde. »

Quoi qu’on pense des chouans du Midi, on ne saurait nier que ceux qui tenaient ce langage n’étaient point des insurgés vulgaires et qu’il y avait parmi eux des hommes de cœur, que seules les persécutions dont ils étaient les victimes, avaient égarés, fanatisés et jetés dans le crime. En la circonstance, le Directoire ayant accordé l’amnistie qu’on lui demandait, tous ceux qui l’avaient acceptée se soumirent et tinrent pour un temps la parole qu’ils avaient donnée. Malheureusement, au nom d’une autre amnistie, amnistie générale votée par la Convention avant de se séparer et de laquelle étaient exceptés les faits d’émigration et de royalisme, la chasse aux émigrés et aux prêtres devenait plus rigoureuse et plus violente. Le Midi, au moment où finissait l’année 1795, n’attendait la délivrance que de la guerre civile déjà commencée sous les formes qui viennent d’être décrites. Les conspirateurs qui rayaient soulevée tournaient leurs regards vers l’Autriche, dont les agens des princes leur annonçaient le secours. C’était le moment où Condé tentait de négocier avec Pichegru, dans