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celui-ci avait sur elle les droits que l’on peut avoir sur un de ses membres. L’Église était un corps privilégié, dans une société politique qui reposait sur le privilège. Elle avait d’immenses domaines, qui appartenaient les uns au clergé séculier et les autres au clergé régulier. On s’inquiétait alors de l’extension démesurée des biens de mainmorte et l’on avait bien raison : on continue de s’en inquiéter aujourd’hui, sans doute par habitude, et certainement avec une moindre raison de le faire. Les biens des congrégations non autorisées ne sont pas des biens de mainmorte dans le sens juridique du mot, puisque ces congrégations peuvent toujours les aliéner. Ils le sont en fait, si l’on veut, dans ce sens qu’ils sont affectés à des services permanens de charité ou d’enseignement : mais, si l’État venait à s’en emparer de manière ou d’autre, comme ils continueraient de servir aux mêmes objets et que la seule opération à laquelle on les soumettrait serait d’en laïciser le personnel, ils ne circuleraient pas plus qu’auparavant et ils conserveraient absolument le même caractère. Tous ces grands mots de mainmorte et autres analogues, qui effraient par des impressions d’atavisme, ne sont bons, aujourd’hui, qu’à donner le change aux gens qui ne prennent pas la peine de réfléchir : malheureusement, c’est le grand nombre. Les abus dont vivaient le clergé et les congrégations d’autrefois n’existent plus. Les privilèges sont détruits. Le droit commun est partout. Et que demande l’Église, sinon l’usage des libertés générales ? C’est ce que M. Ribot a fort bien exprimé en disant que l’Église, à mesure qu’elle a perdu de sa situation privilégiée, a gagné et dû gagner en liberté. Elle estime, — et ce n’est pas là de sa part une opinion nouvelle, — que les congrégations sont nécessaires à son existence et à son action efficace dans le monde. De quel droit l’État s’inscrirait-il en faux contre cette affirmation ? Est-ce qu’il peut descendre dans la conscience des catholiques et décider souverainement de ce qu’il leur est permis et de ce qu’il leur est interdit de croire ? Aussi longtemps que les catholiques en tant que particuliers, et que l’Église en tant qu’institution, ne portent pas atteinte aux lois du pays, on n’a rien à dire, ni rien à faire contre eux. Mais ils les violent, dit-on : et pourquoi ? Ici, nous rencontrons un des sophismes sur lesquels repose le projet de loi. Les vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté sont déclarés contraires à de certains principes, sacrés, mais obscurs, dont nous n’avons trouvé trace nulle part, et que d’ailleurs le projet de loi ne respecte pas lui-même. S’il est vrai, en effet, que ces vœux sont immoraux et illicites en soi, ils doivent l’être dans tous les cas ; et alors comment