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pureté, tel que lui-même nous le définit au dernier chapitre de son petit livre : « Memling, nous dit-il, n’a jamais rien produit d’égal à la grande Adoration de l’Agneau d’Hubert van Eyck ; mais il s’est incontestablement montré supérieur à tous les autres peintres de l’école flamande. Jean van Eyck, en vérité, l’a surpassé au point de vue de l’exécution technique, du modelé, de la minutieuse reproduction des objets réels : mais, au point de vue de la conception des sujets religieux, tout l’avantage reste à Memling. Jean van Eyck voyait avec ses yeux, Memling avec son âme. Jean étudiait, copiait, reproduisait avec une exactitude merveilleuse les modèles qu’il avait sous les yeux : lui aussi, étudiait et copiait, mais il faisait plus : il méditait et réfléchissait. Toute son âme passait dans ses œuvres ; il idéalisait, il glorifiait, il transfigurait les modèles qu’il avait sous les yeux… Comparé aux autres artistes de son école, il est le plus poétique et le plus musical… Et, à l’inverse de van Eyck, dont les tableaux religieux n’éveillent en nous que des pensées terrestres, les tableaux même profanes de Memling nous offrent comme un reflet des choses du ciel. »


Ainsi l’excellent ouvrage de M. Weale nous fournit sur la vie et l’œuvre de Memling une foule de renseignemens d’un prix inestimable. Mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’une méthode plus large, un plus libre usage des droits et des devoirs de la critique historique, lui auraient permis de tirer de ces renseignemens plus de fruit encore qu’il n’en a tiré. Il nous a fait connaître, avec une précision et une sûreté admirables, toute la partie extérieure de la vie et de l’œuvre du maitre brugeois ; mais des rapports qui ont existé entre cette œuvre et cette vie, du rôle joué par Memling dans la marche de l’art flamand et des circonstances qui l’ont amené à y jouer un tel rôle, de tout cela il ne nous a rien dit, faute d’interpréter les documens divers qu’il plaçait sous nos yeux. Aussi bien la peinture est-elle peut-être, de tous les arts, celui dont l’histoire se prête le mieux à l’emploi de la méthode dite « évolutive : » car les progrès, les tours et détours de l’évolution s’y laissent non seulement deviner, mais presque sentir et toucher au doigt ; et cependant l’histoire de la peinture est aujourd’hui, de toutes les branches de l’histoire de l’art, celle où l’emploi de cette méthode est le plus négligé. Qu’ils aient à parler des van Eyck ou de Durer, de Poussin ou de Watteau, les critiques considèrent ces peintres comme des phénomènes isolés, abstraits, sans rapport avec les peintres qui les ont précédés, qui les entourent, ou qui vont les suivre. Tout au plus nous décrit-on parfois le milieu politique ou