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figures qui ont tout autant de droits à être tenues pour des portraits de Memling ; ce portrait-là n’en reste pas moins pour eux le seul véritable, à cause de la barbe inculte et du bonnet d’hôpital, à cause de la fable inventée jadis par l’abbé Descamps, et qui a trop longtemps contribué à appeler sur Memling l’attention publique pour ne pas se trouver, désormais, étroitement mêlée à son souvenir.

Je dois ajouter que « l’histoire véridique, » après avoir démoli de fond en comble la légende de Memling, n’a découvert que fort peu de chose à y substituer. Son rôle en cette affaire, comme en maintes autres, a été surtout négatif : et Fromentin, par exemple, s’il vivait encore, serait sans doute étonné d’apprendre que ce qu’on lui avait présenté comme « l’histoire véridique » de Memling était en fin de compte à peu près aussi inexact que « le joli roman » du peintre-soldat. Nous savons en effet aujourd’hui que Memling n’était pas « tout simplement un bourgeois de Bruges, » qu’il n’avait pas « appris la peinture à Bruxelles, » et qu’il n’est pas « mort en 1495. » Quelques documens ont été mis au jour qui fixent, d’une manière probablement décisive, certains faits de la vie du peintre. Mais si petit est le nombre de ces faits qu’on peut sans trop de peine les énoncer en vingt lignes. Les voici, ou plutôt voici ceux d’entre eux que l’on a découverts avant l’année 1889, où un heureux hasard a permis la découverte d’un fait nouveau, à beaucoup près le plus important de tous, pour ne pas dire le seul qui ait une importance réelle.

Le premier en date des tableaux authentiques de Memling étant le portrait d’un graveur en médailles italien, Nicolas Spinelli d’Arezzo, qui se trouvait à Bruges en 1467, on en peut conclure que Memling doit avoir commencé à y travailler vers cette année-là. Entre les années 1470 et 1480, il s’est marié avec Anne de Valckenaere, fille d’un riche citoyen brugeois. En 1478, il a peint pour l’église Saint-Barthélémy, sur la commande du miniaturiste Guillaume Vrelant, un grand tableau représentant les diverses scènes de la Passion, et qui se trouve aujourd’hui au Musée de Turin ; en 1479, il a peint pour un des frères de l’hôpital Saint-Jean, Jan Floreins, le triptyque de l’Adoration des Mages ; et, la même année, il a achevé son Mariage de Sainte Catherine, destiné au maître-autel de la chapelle de l’hôpital. L’année suivante (1480), le maître-tanneur Pierre Bultinck lui a confié l’exécution, pour l’église Notre-Dame, d’un tableau représentant diverses scènes de la Vie du Christ (aujourd’hui au Musée de Munich). Et, au mois de mai 1840, Memling a acheté, dans une rue de Bruges, trois maisons, dont une très grande, et en pierre de taille, — domus magna