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de Précy, qu’à Vérone le prétendant a muni de ses pleins pouvoirs à l’effet de diriger ces mouvemens partiels et de les faire concourir au succès de la cause. C’est donc de Lyon que Dominique Allier attend des ordres décisifs. En attendant qu’ils arrivent, il s’applique à tenir en haleine les troupes envoyées contre les rebelles.

Le maçon Levasseur évolue de préférence dans l’Aveyron, son pays. Il met sur les dents les soldats lancés à sa poursuite et trompe incessamment leur vigilance. Quand ils croient le surprendre aux abords de quelque village perdu dans la montagne, il a déjà gagné d’autres contrées, le Gard ou les rives du Lot. Là, comme partout où il passe, il signale sa présence par les incendies, les assassinats, les arrestations de courriers. Lorsque, à travers l’obscurité des documens de cette époque, on reconstitue les sinistres exploits de ces hommes de rapine et de sang, il est impossible de ne pas les considérer comme les pires bandits. On n’en est que plus étonné de surprendre parfois dans les péripéties de leur tragique existence quelque trait où se révèlent à l’improviste des sentimens généreux et une grandeur d’âme que leurs forfaits ne permettaient pas de soupçonner. Tel ce maçon Levasseur, le plus redoutable d’entre eux, le plus cruel et le plus entreprenant, qu’on voit un jour, à la prière d’une famille éplorée, épargner un acquéreur de biens nationaux dont il avait décrété la mort et doubler le prix de cet acte de clémence par la magnanimité avec laquelle il l’accomplit.

On est au lendemain du 9 Thermidor et durant la période la plus sanglante de la réaction. Un jeune ecclésiastique de Rodez, prêtre gentilhomme, l’abbé de Curières, dont la Terreur a respecté la vie et les biens, mais à qui ses opinions et sa naissance semblent donner autorité sur quiconque se dit royaliste, est supplié d’aller plaider auprès de Levasseur la cause du malheureux sur lequel cet homme implacable se prépare à venger le sang versé par les bourreaux. L’abbé de Curières ne connaît Levasseur que par son fanatisme et ses crimes. Suspect lui-même, il s’expose, en allant le trouver, à encourir le soupçon des autorités locales. Il n’hésite pas cependant. Ayant découvert la retraite du brigand dont la tête est mise à prix, il s’y présente un soir. Levasseur est absent ; lorsqu’il arrive quelques instans après, suivi de trois ou quatre de ses compagnons, il enveloppe l’inconnu qui est venu le relancer dans sa tanière d’un regard de