reconnaître, mais à fond et de manière à en pénétrer les nuances : il n’a cessé de fouiller le répertoire espagnol et d’y chercher des motifs d’inspiration. Mais son imitation n’est pas un esclavage ; en empruntant des sujets, des personnages, des scènes entières, il reste original. Et c’est ce qui importe. Encore est-ce trop peu dire ; mais du drame espagnol il tire un genre qui, de tous les genres de notre littérature, pourrait bien être celui où notre esprit français a mis sa marque la plus reconnaissable et donné sa plus exacte mesure.
Il y a été aidé d’abord par la contrainte des règles. C’est ce qu’on ne saurait trop redire, à supposer qu’il se trouvât encore quelqu’un pour ne pas rendre justice à ces règles bienfaisantes et tant décriées. C’est grâce aux pédans que notre tragédie s’est constituée, et il n’est pas d’exemple plus significatif de l’utilité de la critique et des services que les théoriciens peuvent rendre aux créateurs. Corneille peut bien avoir eu plus d’un mouvement de mauvaise humeur contre l’étroitesse de ces règles ; mais ne plaignons pas outre mesure le « pauvre grand homme » d’avoir été mis à la gêne par les commentateurs d’Aristote, et réservons pour d’autres cas les trésors de notre pitié. Il sentait à part lui ce qu’il y avait de juste dans les préceptes des « réguliers. » Ils lui ont permis d’organiser la matière du drame espagnol. Ils l’ont forcé à élaguer les épisodes, à supprimer les accidens pour aller droit à l’essentiel. Ainsi débarrassé de tout ce qui est extérieur et ne sert qu’à amuser l’imagination, circonscrit et condensé, le drame ne peut plus se développer qu’en profondeur. Il se replie sur l’étude de l’âme et force lui est d’y creuser toujours plus avant. Ce qu’il y découvrira lui donnera sa valeur de psychologie, qui subsiste en dehors même du mérite spécifique du théâtre. Et c’est du conflit des sentimens que naîtra l’intérêt dramatique. — Une autre contrainte acceptée par Corneille est celle que lui impose l’histoire. Sans s’asservir à suivre dans le détail les données de l’histoire, et obligé au contraire de compléter ce qu’elles ont nécessairement de fragmentaire et ce que la réalité a toujours d’inachevé, la poète est cependant forcé par les faits eux-mêmes à refréner son imagination et à se tenir en garde contre les excès de sa fantaisie. L’histoire s’oppose au romanesque et lui fait contrepoids. — Le Français est moraliste : les recueils de nos moralistes forment une des parties les plus originales de notre patrimoine littéraire ; Corneille est même sentencieux. Et la morale, sous peine de cesser d’être elle-même, doit se fonder sur des principes qui valent pour tous. — Enfin, aucun autre peuple n’a été plus soucieux que le nôtre de s’affranchir du point de vue particulier