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arrêter ces scandales. Mme d’Aulnoy en compte une moyenne de cinq cents par nuit. et ainsi, s’inspirant du spectacle de la vie, c’est donc l’amour tragique que la Comedia emprunte aux mœurs contemporaines et fait pour la première fois apparaître sur le théâtre. — Le second est cette fameuse religion du point d’honneur. Magnifique et absurde, héroïque et extravagant, on connaît assez ce sentiment qui emplit la scène espagnole de ses prouesses, de ses rodomontades et de ses dangereuses folies. En principe, rien de plus légitime et même rien de plus noble. C’est la conscience de notre dignité personnelle ; c’est l’idée que, d’une part, nous ne pouvons accepter certains traitement et que, d’autre part, nous gardons contre les abus de la force ou contre les assauts du malheur une forteresse inexpugnable : l’estime de nous-mêmes. L’honneur s’apprécie plutôt qu’il ne se définit : il varie d’un individu à l’autre, il se mesure à la valeur morale et à la délicatesse de conscience de chacun : c’est un pouvoir idéal et qui contrebalance le pouvoir brutal des faits ; c’est par là qu’il est le sentiment chevaleresque par excellence.

Mais nous ne sommes, hélas ! que de pauvres hommes, et une loi de notre nature veut que ce qu’il y a de meilleur en nous, s’il n’est contrôlé par la raison, l’autorité, le sens commun, dévie et se corrompe. Ainsi en est-il arrivé du sentiment de l’honneur. Un code de l’honneur a été édicté et promulgué par l’usage, et ce qui n’aurait dû relever que de la libre appréciation est devenu une tyrannie toute conventionnelle. Ce qui aurait dû être le respect de soi s’est tourné en vanité, crainte de l’opinion et du qu’en-dira-t-on. Surtout l’honneur a été un splendide déguisement, manteau, cape et pourpoint à l’espagnole, dans lequel s’est drapé l’amour-propre. La religion de l’honneur, c’est le culte du moi, c’est le moi se posant en idole et décrétant la dévotion à ses propres autels. Et c’est bien pourquoi cette religion est si ombrageuse, si intransigeante et farouche, si prompte à soupçonner une offense, si empressée à réclamer pour une atteinte légère un châtiment disproportionné, si altérée de vengeance. C’est le plus redoutable des fanatismes, le fanatisme de soi. Il faut voir dans la Comedia les folies qui signalent et les hétacombes qui ensanglantent cette religion. « Elle présente sans les discuter les situations les plus cruelles et les plus odieuses, et les paroles qu’elle met dans la bouche de ceux qui en sont victimes ne révèlent guère cette lutte intérieure où pourtant le drame se serait renouvelé. Fernando a besoin du sacrifice de sa sœur pour assurer sa vengeance. Froidement elle l’accepte, et froidement il l’accomplit. Don Sancho fait mieux encore. Son père. Don Nuño,