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plus malaisée la perception et l’appréciation des actes de la vie publique et de leurs mobiles véritables.

Les enquêteurs partent, pour échafauder leur raisonnement, de prémisses que l’enchaînement historique des événemens rend simplement plausibles, mais que l’on ne saurait admettre comme incontestables, sans négliger les facteurs passionnels du conflit actuel. La révolte des Philippines, disent-ils, est née du besoin de redresser des torts déterminés, et de s’assurer la garantie de ces droits fondamentaux de l’humanité que les Américains tiennent pour l’apanage naturel et inaliénable des individus, et qui ont été outrageusement méconnus sous la domination espagnole ; les habitans de l’Archipel ne songeaient pas à s’affranchir au point de vue politique ; l’idée de se rendre indépendans ne leur est venue que plus tard, elle n’a été qu’un accessoire plus ou moins superflu du mouvement insurrectionnel ; » d’où l’on doit aussitôt déduire, au gré des commissaires, que, les États-Unis s’étant substitués à l’Espagne, et étant parfaitement aptes par leurs traditions et leur organisation à protéger les droits individuels, les Philippins n’ont plus aucune raison de s’obstiner sur « l’accessoire ; » le principal leur est acquis, au moins en puissance, et selon la rigueur de l’axiome scientifique, cessante causa, cessat effectus.

De ces prémisses découlent nombre de conséquences pratiques, au point de vue de l’établissement de la domination américaine, s’entend. Quelques Philippins, par exemple, ont conçu la pensée d’ériger leurs provinces en autant d’États autonomes et de les réunir en une confédération, selon le type précédemment décrit des États-Unis eux-mêmes, avec un gouvernement central à pouvoirs délégués. L’objection se présente d’elle-même, et le motif pour ne pas tenir compte de ce vœu s’impose : il n’y a point de précédent local ; les provinces ne sont que des « entités imaginaires ; » les habitans n’ont aucune expérience dans le self-government, et le système n’est pas indispensable pour leur procurer les franchises individuelles qu’ils réclament. Donc, point de confédération.

Puisque les Philippines n’ont besoin, pour atteindre leur objectif essentiel, ni d’être indépendantes, ni de se voir fédérées, seront-elles colonie, protectorat ou quoi encore ? L’expression de « colonie » n’est qu’une étiquette, n’impliquant, comme le prouve surabondamment la variété infinie d’exemples fournis par les possessions britanniques, aucun système propre