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Quoi qu’il en soit, il ne semble pas douteux que l’instruction primaire des Philippins n’est pas extraordinairement avancée.

Le gouvernement espagnol avait décidé qu’il y aurait une école de garçons et une école de filles pour chaque fraction de 5 000 habitans ; en fait, même si l’on exclut les quelques tribus sauvages, où la polygamie, l’esclavage, le sacrifice humain même sont, encore dans les mœurs, les deux écoles n’existent que pour 7 000 habitans. Les indigènes étaient obligés de les fréquenter de 10 à 12 ans, mais l’enseignement qu’ils y recevaient était médiocre : beaucoup de catéchisme, très peu de langue espagnole, — les moines qui faisaient fonction d’inspecteurs étant très hostiles à l’expansion de leur langue nationale, — la lecture et l’écriture dans les idiomes locaux ; c’est tout, malgré les promesses de programmes officiels infiniment plus vastes. La géographie était enseignée sans cartes, l’histoire soigneusement limitée aux faits et gestes de l’Espagne, et l’agriculture pratique se réduisait à une « triste farce. » Mais cela tenait presque exclusivement aux défauts de l’organisation du service ! : quoique les Jésuites eussent créé à Manille une très bonne école normale, les traitemens alloués aux instituteurs étaient si faibles (de 25 fr. à 100 fr. par mois) qu’on n’arrivait pas à recruter la carrière et qu’il fallait souvent confier les fonctions magistrales à des personnes à peu près aussi ignorantes, surtout dans la langue castillane, que leurs futurs élèves. Ceux-ci, cependant, sont loin d’être incapables : à peine arrivés dans l’île, les Américains ont voulu enseigner l’anglais, ce qui est fort naturel, et ils reconnaissent que les jeunes Philippins ont une facilité remarquable pour apprendre. Les établissemens d’enseignement secondaire ou supérieur, placés sous le contrôle des Dominicains et des Jésuites, donnent de bons résultats ; de même pour les écoles d’arts et manufactures, d’agriculture, de peinture et de sculpture, etc. Bref, le Philippin est « d’une remarquable application et d’une grande adresse manuelle ; il est naturellement musicien ; avec sa nature imaginative, il aime l’art, bien qu’il ait jusqu’ici imité plus qu’il n’a créé ; il est rebelle aux mathématiques, mais il a du goût pour la mécanique, pour le droit et pour les sciences naturelles. »

Il y a bien des peuples dont on n’en pourrait dire autant, beaucoup surtout qui, en matière d’art, méritent le même reproche d’être imitateurs plutôt que créateurs. En tout cas, ce ne sont point là les caractères distinctifs d’une race inférieure,