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Quand midi grésillait sous l’azur qui flamboie,
J’ai cheminé dans l’or comme un bo moissonneur,
J’ai tenu dans mes mains l’écusson du bonheur.
J’ai porté fièrement l’étendard de la joie.

Faut-il donc insulter à ce passé charmant ?
Non, non. Je suis à lui comme au toit l’hirondelle.
S’il ne me connaît plus, je lui reste fidèle ;
Je n’ai rien désappris du vieil enchantement.

Car je tiens que le rire est une noble chose,
Un frère de l’amour, un guide sans pareil,
Et qu’on ne peut avoir, au pays du soleil,
De meilleurs conseillers que le lys et la rose.

Pourtant, aux meilleurs jours, j’ai parfois entendu
Souffler en mon jardin comme un vent de colère :
Un serpent d’émeraude est au fond de l’eau claire :
Quand je m’y suis baigné, le traître m’a mordu.

Et j’ai souffert. Beaucoup. Peut-être plus qu’un autre.
J’ai fait plus d’une halte au château des affronts.
Ô ma jeunesse à l’œil si vif, aux gestes prompts,
Tu n’as pas oublié la peine qui fut nôtre.

Marguerites des prés et pervenches des bois
Étoilaient à l’envi ta chevelure brune…
Ah ! dans ces longues nuits que fleurissait la lune,
Qu’il a passé de pleurs entre tes petits doigts !

Le page qui, tremblant, tenait ta lourde traîne
L’a bien su, mais jamais il n’en aurait rien dit.
À voir ta bouche close il était interdit ;
Pour or ni pour argent il n’eût trahi sa reine —

Jeunesse, ma Jeunesse, avons-nous bien lutté ?
Avons-nous bravement tenu tête à l’orage ?
Sourire en plein tourment, n’est-ce pas du courage ?
Quand nous agonisions, nul ne s’en est douté.