Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/891

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douteux, Quand ils prétendent qu’ils ont vu Pichegru, causé avec lui, reçu ses déclarations, nous sommes en droit de ne pas les croire, parce que les propos qu’ils lui prêtent et les plans qu’ils lui attribuent sont les propos et les plans d’un fou, indignes de l’homme de guerre qu’était Pichegru. La volonté de trahir fût-elle démontrée, elle ne parviendrait pas à les rendre vraisemblables. Le passé de Pichegru, l’idée que nous nous faisons de ses aptitudes professionnelles, l’impraticabilité démontrée des projets qu’on expose en son nom, sans apporter ombre de preuve qu’il y ait participé, la certitude acquise que les Autrichiens, loin de les favoriser, les ont repoussés[1], encore qu’on leur affirmât qu’ils venaient de lui, les enjolivemens ajoutés de jour en jour par les émissaires à chacune de leurs versions, et enfin le détournement des fonds qu’on disait lui être destinés et que nous voyons arrêtés en chemin par ceux qu’on chargeait de les lui verser, tout concourt à exciter notre incrédulité et nous conduit à penser que depuis un siècle, l’histoire, en ce qui touche cette affaire, vit sur une fable imaginée par une demi-douzaine de calomniateurs, dont la vénalité apparaît à chaque ligne des écrits à travers lesquels nous pouvons les juger.

Leurs calomnies, cependant, ont une cause et une origine. Ils ne les ont pas forgées de toutes pièces. Pour qu’elles naquissent, il a fallu qu’elles eussent un prétexte plausible, et, pour se développer, se répandre, pousser de toutes parts leurs rameaux vigoureux et empoisonnés, qu’elles trouvassent un terrain propice. Or, ce prétexte et ce terrain, c’est assurément Pichegru qui les a fournis en se prêtant à des rapports avec Condé, soit par l’intermédiaire de Fauche-Borel, soit par toute autre voie, celle par exemple de son aide de camp Badouville, lequel ne savait pas résister à une poignée de louis, habilement offerte, ni à quelques flatteuses démarches[2]. Nous avons de ces rapports un témoignage irrécusable. C’est une lettre en date du 28 décembre

  1. « Je vais obéir à Votre Excellence, qui est mon chef militaire, mais, il est de mon devoir, en obéissant, de lui représenter que le parti qu’elle prend de m’empêcher de passer le Rhin devant moi est désastreux pour la cause. » — Condé à Wurmser.
  2. Le 9 septembre, Fauche-Borel écrit à Condé : « Je trouve aussi que, pour contenter Coco (Badouville), qui par la suite aura le commandement de la cavalerie dont il a la confiance, et même pour aiguillonner le zèle de Baptiste, il serait à propos de le satisfaire en ce qu’il désire tant, qui est de lui écrire ces quelques mots : Je suis content des services de M … Je désire qu’en aucun cas il ne lui arrive aucun mal.