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n’a rien vu. » Pour conclure, il pensait qu’il fallait laisser Pichegru libre d’exécuter ses projets de la manière dont il le jugeait convenable : « Votre Altesse doit être passive, c’est-à-dire qu’elle doit avoir l’air de recevoir et d’amnistier un sujet du Roi revenu de ses erreurs, qui cherche à expier sa gloire en prêtant serment de fidélité à son souverain. » En revanche, il faut fixer au général le jour et l’heure où il doit passer le Rhin avec cinq ou six mille hommes. Ce ne doit pas être plus tard que les trois premiers jours de septembre. « M. Courant lui portera les dernières dispositions de Votre Altesse. Ce voyage est le dernier qu’il sera possible de faire au quartier général de Pichegru. Il faut encore que Votre Altesse parle à Pichegru comme à un grand homme, excellent moyen qu’il le devienne en quinze jours.

« Il faut communiquer à Wurmser ce qu’il faut qu’il sache du plan, sans lui en laisser deviner la latitude et les conséquences qui en dérivent, aller jusqu’aux cessions territoriales, si le concours des Autrichiens est à ce prix… Le moment est arrivé de tout sacrifier pour conduire le Roi sur son trône. Il s’agit de conquérir le royaume et non pas de conserver une province. Ce serait l’Alsace. Mais, une fois à Paris, on forcerait bien l’Autriche à rétrocéder cette province. Au besoin, la Prusse y aiderait. Votre Altesse a encore en sa faveur et l’étonnement de l’Europe et l’indécision d’es cabinets. »

A toute cette phraséologie, Condé, qui a déjà repoussé l’idée de livrer l’Alsace, répond en démontrant l’impossibilité d’exécuter le plan. On ne saurait sans danger le confier à Wurmser, lequel est incapable par lui-même et gêné par sa cour. Il assemblera ses généraux. Tous diront que c’est un piège. « J’aurai beau leur démontrer, — si je suis appelé au conseil, ce qui est douteux, — qu’ils n’ont rien à craindre en rassemblant quatre fois autant de troupes que Pichegru en enverra, ils n’entendront pas raison. Si, ce que je tiens pour impossible, on les persuade, voilà dix personnes au courant du secret. » Indiscrétion ou trahison, l’opération sera manquée, Pichegru compromis. « Et enfin, si le projet est accepté, le secret gardé, comment Pichegru pourra-t-il jeter un pont sur le Rhin, paisiblement, devant les troupes autrichiennes qu’on verra très bien de l’autre côté du fleuve, sans tirer un coup de canon et sans trahir une connivence suspecte. » Il est donc nécessaire d’avoir un homme de confiance