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Autrichiens aux dépens de sa gloire, de celle de son armée et de la vie du soldat. »

Nous verrons par la suite ce qu’il y a de fondé dans ces allégations, que Gouvion-Saint-Cyr a d’ailleurs lui-même infirmées par la déclaration citée plus haut « que la pensée de trahir ne dirigeait pas encore les actions militaires de Pichegru. » C’est cette déclaration seule que, pour le moment, il convient de retenir. Au reste, la conduite militaire de Pichegru, dont le récit va suivre, est là pour répondre. Elle atteste qu’il n’a pu tenir, ni le 16 août, ni le 18, ni le 24, et pas davantage plus tard, le langage qu’on met dans sa bouche. Ce langage a été inventé, soit par Badouville, soit par Fauche-Borel et Demougé, qui entrera bientôt en scène, enjolivé par Montgaillard, exploité par la baronne de Reich et autres, à seule fin de tirer argent de Condé, de Wickham et de Klinglin.

L’impraticabilité de ce plan fantaisiste était d’ailleurs tellement frappante que le prince de Condé le repoussa tout aussitôt pour en revenir au sien. Montgaillard, qui, au début de la négociation, ne voulait recourir aux Autrichiens qu’à la dernière extrémité, conseillait maintenant d’invoquer leur secours et, redoutant qu’ils ne voulussent pas favoriser le plan, déclarait « qu’il fallait les engager malgré eux. » Il glissa ce conseil dans une lettre sans fin où, renchérissant sur les inventions de Fauche-Borel, il disait : « Pichegru est allé au-delà de ce qu’il était permis d’espérer. Il n’a point hésité sur les propositions qui lui étaient faites. Il s’est hâté de rentrer dans le devoir et il l’a fait d’une manière si positive et si noble qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître combien ce général attendait avec impatience l’occasion qui vient de lui être offerte. Il a écouté son devoir bien plus que son ambition. Son cœur est profondément, dévoué à la Monarchie et au Roi. Il désire leur consacrer ses services et sa vie. Il le désire avec autant d’ardeur que les émigrés eux-mêmes. Monseigneur, il m’est prouvé aujourd’hui que Pichegru est né pour faire de grandes choses… Il est depuis huit jours un grand homme à mes yeux. »

Montgaillard poursuivait ce dithyrambe par le récit des démarches de Fauche-Borel et de Courant, « dont l’habileté a été au-dessus de tout éloge. Grâce à eux, dans une ville où chaque regard est celui d’un espion ou d’un traître, le ministre français Barthélémy, les représentais du peuple, les généraux, personne