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et qui ne se comporta pas très bien. Une compagnie d’artillerie légère y perdit la plus grande partie de ses canons, et nous fûmes forcés à la retraite. Depuis ce temps, nous sommes restés sur notre position autour de cette place, la gauche sur Vefferthal[1], le centre sur la Necker à Fudenheim et la droite à Neckerau. Tout cela est occupé par environ huit mille hommes. L’année de Sambre-et-Meuse est sur le Mein où elle doit recevoir ou livrer bataille incessamment. Je me propose de harceler l’ennemi demain du côté de Weinheim pour faire une petite diversion. »

Après cette lettre, on ne saurait contester que l’arrêt dans la marche et l’échec dans l’action s’expliquent pour Pichegru par les mêmes raisons que pour Jourdan. N’empêche que ses accusateurs, qui nous l’ont montré, au mépris de la vérité, n’avançant vers Mannheim que sur les injonctions plusieurs fois renouvelées du Comité de Salut public et des représentans en mission, vont maintenant conclure avec plus de force de sa prétendue inaction qu’engagé depuis un mois dans les criminelles intrigues que dénoncera bientôt Montgaillard, il est résolu à trahir. C’est le 16 août en effet que, selon Montgaillard et Fauche-Borel, celui-ci a vu pour la première fois le général en chef de l’armée de Rhin-et-Moselle.

Pour se guider dans les ténèbres où nous entrons, on n’a eu, jusqu’à ce jour, que les dires imprimés des deux compères qui, sur un grand nombre de points, se contredisent. Les papiers saisis par Moreau à Offenbourg avec les fourgons de Klinglin, sembleront ultérieurement les confirmer les uns et les autres. Mais, pour ce qui est des déduits de cette négociation mystérieuse, nous possédons uniquement les affirmations de Fauche-Borel, qui a été avec Antoine Courant le porte-parole de Condé ; celles de Montgaillard, que Condé a chargé de diriger leurs démarches, de lui en rendre compte, qui n’a jamais vu Pichegru et ne sait rien de leurs relations avec lui que ce qu’il leur a plu de raconter. C’était bien peu, on le reconnaîtra, pour prononcer une condamnation sans appel, surtout lorsque tant de révélations successives ont démontré que la valeur morale des négociateurs est trop fragile pour servir de caution à leurs récits et que, d’autre part, ressort des événemens de cette époque l’intérêt puissant qu’avait le Directoire à perdre Pichegru.

Aujourd’hui, nous tenons d’autres élémens de conviction. A une date récente, les archives de Chantilly se sont ouvertes ; elles

  1. Pour l’orthographe de ces noms, j’ai suivi les documens originaux.