Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sang et nous met en position d’intercepter de la gauche à la droite l’armée autrichienne que chassa devant lui le général Jourdan. Je vais profiter de cette occasion pour faire passer le plus de troupes sur la rive droite pour couper Clayrfait de Wurmser. »

Ainsi, par suite du double mouvement des années de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle, « les Français, constate l’historien allemand Syhel, avaient pris possession de deux places fortes du Rhin et occupaient tout le pays compris entre le Rhin, le Mein et la ligne de démarcation établie avec la Prusse. » Après plusieurs mois durant lesquels, sur les deux rives, les belligérans étaient restés immobiles, la campagne s’ouvrait par un succès pour la République, succès auquel, pour sa part, Pichegru avait contribué. Jourdan avoue, dans le manuscrit dont s’est inspiré Louis Blanc, que, si lui-même ne tira pas de son victorieux passage du Rhin, un meilleur parti, c’est que les moyens lui faisaient défaut. On peut invoquer la même raison au profit de Pichegru. Il serait souverainement injuste que ce qui justifie l’un ne justifiât pas l’autre. Si Pichegru, Mannheim occupé, et le Rhin franchi, ne s’est pas emparé d’Heidelberg où les Autrichiens avaient leurs magasins, s’il n’a pas coupé la communication entre Wurmser, qui couvrait Fribourg-en-Brisgau, et Clayrfait, qui s’était retiré au-delà du Mein ; s’il ne peut empêcher l’ennemi de repasser cette rivière, ce n’est pas faute de combattre ; c’est qu’il ne dispose que d’effectifs insuffisans auxquels manquent, d’autre part, les ressources qui peuvent seules soutenir la vaillance des soldats et seconder les résolutions de leurs chefs.

Cet aveu d’impuissance, il le fait à son ami le général Moreau, le 19 octobre (20 vendémiaire), dans une lettre datée de Mannheim : « Peu de jours après notre entrée ici, j’ai voulu pousser vigoureusement l’ennemi pour empêcher la jonction des armées de Wurmser et de Clayrfait et pour nous emparer surtout des magasins d’Heidelberg dont nous avions grand besoin. J’avais pensé qu’une marche hardie et précipitée tromperait l’ennemi sur notre force et qu’il ne ferait pas grande résistance. Je l’attaquai le 1er  et le 2 de ce mois (24 et 25 septembre). Le premier jour fut heureux et le second commença assez bien. Mais, des renforts de cavalerie arrivant à l’ennemi, il prit l’avantage sur nous par la supériorité de cette arme et força la gauche de notre attaque sur Heidelberg, où il n’y avait qu’un seul régiment de cavalerie