Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un écu de cinq francs, nous faisons du bien ou du mal ; la demande de l’acheteur suscite un besoin économique. Quiconque achète un mauvais livre contribue au succès de la plus basse littérature. Les femmes qui refusent de porter sur leurs chapeaux. de certaines plumes mettent fin à un massacre odieux de petits oiseaux ; celles qui achètent, du linge ou des vêtemens à trop bon marché sont responsables du sang et des fibres humaines tissés pour ainsi dire dans ces étoffes, etc. Notre devoir est de tourner nos goûts et nos acquisitions d’un côté qui ne puisse nuire ni aux autres ni à nous-mêmes, d’associer nos besoins personnels au bien de l’univers entier. Voilà des conseils pratiques, applicables à la vie de tous les jours, et qui ont certainement plus de portée que les nuageuses abstractions où se perdent beaucoup de féministes. La Ligue des consommateurs qui fonctionne aux États-Unis s’en est inspirée ; elle a éveillé le sentiment public jusqu’à ce que la législation s’en mêlât. Grâce à elle, les inspecteurs de l’hygiène redoublent de zèle ; les commerçans ont dû autoriser les employées dans leurs magasins à s’asseoir, à prolonger l’heure du repos ; le travail des enfans est surveillé, abrégé ; les membres de la Ligue se défendent de rien acheter les jours de fête et de congé ; ils effacent de la « Liste blanche, » qui porte les adresses des maisons de commerce de New York, tout établissement où les mesures d’humanité qu’ils proposent ne sont pas acceptées. La fédération des ligues de consommateurs qui existent déjà dans quatre États a obtenu des résultats qui s’ajoutent à l’œuvre des trade unions. Chacun de nous doit apprendre dès l’enfance qu’il fait partie d’une force vivante, créatrice des conditions de l’existence humaine, et qu’à tout âge, il contribuera sans cesse, fût-ce par de petites choses, à élever ou à opprimer l’humanité.


TH. BENTZON.