Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/854

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voire l’humble bonne à tout faire est matériellement plus heureuse que le grand nombre des ouvrières, mais les mêmes femmes qui, depuis cinquante ans, réclament à grands cris leurs droits civils et politiques ne songent pas toujours assez aux droits moins ambitieux qu’ont, en tant que femmes, les personnes qui les servent ; il leur suffirait cependant de faire un retour sur elles-mêmes pour comprendre que rien n’équivaut au privilège de vivre à son gré sa propre vie. Le moyen le plus simple pour corriger cet état anormal, vivre dans une famille, sans aucune part réelle à la vie de famille, serait de laisser la domestique rentrer chez elle, sa besogne faite, comme toute autre journalière. C’est ce à quoi se résignent déjà les personnes de condition modeste. Dans d’autres sphères on a pris aussi l’habitude d’appeler du dehors des auxiliaires ; ces spécialistes à l’heure ou à la tache pourront sans inconvénient se multiplier, et nous n’en serons pas plus surpris que ne l’ont été nos pères d’avoir affaire au boulanger au lieu de pétrir le pain chez eux comme l’exigeait une longue habitude.

Seconde face du problème : les domestiques ne valent rien parce qu’ils ne font généralement pas d’apprentissage, ce qui les place très réellement au-dessous des autres corps d’état. On commence à y remédier en Angleterre, où un enseignement technique et pratique est donné à cet effet aux filles du peuple dans plusieurs homes. Le même genre de révolution s’était produit pour les gardes-malades, grossièrement ignorantes jadis et scientifiquement dressées aujourd’hui. A Londres, le Conseil industriel des femmes a formé une association de journalières habiles, et l’Institut, Norland s’occupe de l’éducation des domestiques d’élite, ladies in service, notamment des bonnes d’enfans, si souvent inférieures dans beaucoup de pays à tous les autres serviteurs, tandis que leur mission est beaucoup plus haute, puisqu’elle implique l’éducation. Il convient que la bonne ait les sentimens et les habitudes d’une gouvernante dans la juste acception du mot, et cela fait d’elle une dame qui s’attachera sans peine au milieu raffiné où elle sera traitée avec les égards qu’elle mérite. Ce sont donc les personnes capables d’une œuvre de dévouement qu’aucuns gages ne sauraient payer qui semblent devoir seules continuer les anciennes méthodes de domesticité. Les inventions nouvelles, la coopération, les machines, les fabriques, la vapeur suppléeront d’ailleurs en grande partie aux industries domestiques du passé.