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était si étendu et s’étendait si facilement jusqu’à la mort, que c’était une chose reconnue universellement que la justice pénale était absolument arbitraire et que le magistrat avait droit de vie et de mort sur les citoyens. « C’est une espèce de maxime que les peines sont arbitraires dans ce royaume, dit Servan en 1766. Cette maxime est accablante et honteuse. » Les Encyclopédistes ne cessèrent de réclamer un code précis, obligeant le juge, de telle manière que l’accusé ne fût, comme les autres hommes, soumis qu’à la loi et non mis à la merci du juge. Le Tiers de Draguignan, en ses cahiers de 1788, résumait la pensée encyclopédique quand il disait : « Nous souhaitons que les peines soient fixées, de sorte que le juge soit lié et que la loi seule condamne. » Il est curieux de rapporter ces paroles et de revenir sur ces idées, au moment où il se trouve des juges pour demander que ces vérités devenues banales soient abandonnées et qu’on rebrousse jusqu’en deçà de 1750, et qu’on retourne à l’arbitraire du juge comme remède de la rigidité et de l’inflexibilité de la loi.

Les Encyclopédistes n’ont pas été moins bien inspirés en général dans leur guerre à la législation industrielle et à l’administration intérieure. Là, ils furent libéraux, et ce n’est que là, en vérité, qu’ils le furent. Ils combattirent les douanes intérieures, les droits seigneuriaux vexatoires pour l’agriculture et l’institution des maîtrises. Il n’y a rien à dire ici, si ce n’est qu’ils eurent absolument raison. Quand on songe à tout ce qui pesait sur l’agriculture au XVIIIe siècle, biens de mainmorte, impôts effroyables et triplés par la manière de les percevoir, droits seigneuriaux, douanes intérieures, ce qui étonne, ce n’est pas qu’une partie du territoire fût en friche, c’est qu’il n’y fût pas tout entier. Il y a à montrer de la reconnaissance aux Encyclopédistes, gens des villes, gens de salons et de cafés, pour ce qu’ils se sont très vivement émus en faveur de l’agriculture et ont fort bien vu que tout, dans nos pays, dépend d’elle, à commencer par la natalité, ce qui probablement est le principal. Ils furent poussés de ce côté par deux hommes surtout, tous deux provinciaux, ruraux ou devenus tels, Voltaire et Turgot, qui avaient vu de près le mal et quelques-uns des moyens d’y remédier.

Quant aux maîtrises, elles sont un exemple de la grandeur et de la décadence des institutions. Elles avaient été extrêmement utiles ; elles avaient longtemps conservé dans les corporations