Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
800
REVUE DES DEUX MONDES.

quieu qui exècre le siècle de Louis XIV et à Rousseau qui l’ignore profondément. Mais il faut bien reconnaître cependant que le chapitre intitulé Des Sciences est bien plutôt un réquisitoire contre la science française du XVIIe siècle qu’un éloge à elle adressé ou même qu’un tableau véritable de ce qu’elle fut. Il n’y est guère rendu hommage qu’aux savans étrangers, il y est parlé de Descartes avec le plus impertinent dédain. Pascal n’y est pas nommé, mais en revanche Bacon, Galilée, Torricelli, la Société royale de Londres y sont encensés comme il faut, et le chapitre se termine… par ces premières lignes du chapitre suivant : « La saine philosophie [c’est-à-dire la science] ne fit pas en France de si grands progrès qu’en Angleterre et à Florence ; et si l’Académie des Sciences rendit des services à l’esprit humain, elle ne mit pas la France au-dessus des autres nations. Toutes les grandes inventions et les grandes vérités vinrent d’ailleurs. » Et n’est-il pas étrange que dans un tableau de l’esprit humain au XVIIe siècle la philosophie française tout simplement ne figure point ? On dirait que la France ne s’est point occupée de philosophie au XVIIe siècle. Descartes n’est cité ici que comme savant et savant chimérique, Pascal que comme auteur des Provinciales, et Malebranche n’est pas nommé. En somme, pour Voltaire, la philosophie française au XVIIe siècle n’existe pas, la science française au XVIIe siècle existe à peine, et le XVIIe siècle n’est qu’un siècle d’aimables et brillans littérateurs. Pour les Encyclopédistes, il en est tout de même. Mépris complet du passé, rupture absolue de la tradition, tendance à accepter comme excellent tout ce qui est nouveau, secret dessein de dépayser la nation, d’une part en la détournant de son passé et de continuer son passé, d’autre part en lui montrant l’étranger comme la source de tout progrès, le sanctuaire de tous les modèles à imiter et l’école de la « saine philosophie ; » c’est ce qu’il faut entendre par ce dessein des Encyclopédistes de donner à la France un esprit nouveau.


II


Mais encore quel nouvel esprit ? Les Encyclopédistes, comme on peut croire, ne l’ont pas vu eux-mêmes avec une extrême précision. Il est toujours beaucoup plus facile d’être négatif