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quelques édifices d’usage ecclésiastique qui ne sont pas sans grâce. Un amateur original et millionnaire s’est pris d’amour pour ce quartier où il est né et il l’orne, à ses frais, comme l’eût fait quelque âme pieuse du moyen âge. Les sentimens et les monumens durent ensemble et ils disparaîtraient ensemble si l’on mettait la pioche dans ce vieux coin de la vieille cité.

Au lieu d’entrer dans l’église, nous prîmes à gauche, nous passâmes sous l’arcade d’une porte cochère dont les panneaux garnis de clous disaient la robuste antiquité et nous nous trouvâmes en un lien cloîtré et découvert : c’est l’aître Saint-Maclou.

Nous dîmes deux mots en passant à la concierge. Pour nous répondre, elle ouvrit un vitrage ; sur le devant de sa loge et montra sa tête pâle et les bandeaux plats de sa chevelure jaune. C’était une jeune femme un peu fanée et qui paraissait lasse. Elle nous donna obligeamment le renseignement que nous lui demandions. Derrière la femme, dans l’ombre, on apercevait un intérieur modeste, avec des chaises de bois et de paille, un buffet de menuiserie mesquine, des ustensiles de ménage cloués au mur jauni. Sur le rebord de sa fenêtre, trois chrysanthèmes se mouraient dans un pot de faïence bleu.

Nous entrâmes dans l’aître. C’est un lieu mélancolique. Les trépassés dorment là, oubliés, sous l’aile de l’église. Le cimetière, jadis, n’était pas plus grand qu’un mouchoir. On a bâti, tout autour, l’ossuaire en forme de cloître, et la bonhomie des aïeux a sculpté, sur les bois des arcades, toute la « Danse des morts. » Ce ne sont que squelettes, tibias, faux, sabliers, croix funéraires et crânes décharnés montrant leurs dents d’ivoire. La mort est donc là, partout, présente. Elle est dans la terre où elle gît parmi la cendre des défunts ; elle est le long des murs qu’elle anime de sa fantaisie macabre ; elle est dans la vieille ; église, qui prie pour tout son monde, ceux qui sont venus et ceux qui vont venir.


L’aître était vide. On eût dit un jardin. Il est divisé en petits carrés par des barrières de bois ; des plantes courent sur des treilles ; quelques fleurs s’attardaient encore dans d’étroites plates-bandes le long du cloître et les derniers liserons grimpaient aux fenêtres. On respirait une odeur de terre et une senteur d’humidité pénétrante.

Nous nous taisions. Tout à coup, une porte s’ouvrit, et, comme une nuée d’oiseaux lâchés, un vol de fillettes s’envola.