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l’œuvre, ont transmis quelque chose de leur foi aux élèves du cavalier Bernin qui l’ont achevée.

Ce qui est admirable, c’est que cette nef, une des premières construites, est, peut-être, la plus vaste, la plus belle, et qu’elle arrive du premier coup au définitif : tant est grande la force du bon sens !


C’est bien une œuvre collective. Une lettre, écrite en 1145, par Hugues, archevêque de Rouen, montre tout le monde au travail : « Les habitans de Chartres, dit-il, ont concouru à la construction de leur église, en charriant des matériaux… Nos diocésains eux-mêmes, les Normands, se sont transportés à Chartres pour accomplir un vœu. Depuis lors, les habitans de notre diocèse et des contrées voisines forment des associations pour le même objet ; ils n’admettent personne dans leur compagnie, à moins qu’il se soit confessé, qu’il ait renoncé aux animosités et aux vengeances et qu’il se soit réconcilié avec ses ennemis. Cela fait, ils élisent un chef, sous la conduite duquel ils tirent, leurs chariots en silence et humilité. »

Cette construction n’appartient donc à personne. Elle se prolonge à travers les siècles et réunit toutes les classes. Les verrières sont de saint Louis et de Blanche de Castille : c’est pour la reine Blanche qu’a fleuri, dans le portail, la « rose de France ; » mais elles sont aussi des cordonniers, des drapiers et des serruriers. Voilà de quel cœur travaillaient, au XIIIe siècle, tous ensemble, ces Français de France.


Le Diable, « le Malin, » n’apparaît ici nulle part. Tout est clair, franc, optimiste, comme la vie ordinaire des gens de province qu’aucune pensée secrète ne trouble, qu’aucun vice de l’esprit n’a effleurée.


Je trouve imposante l’assemblée des chaises qui sont comme agenouillées dans l’ombre. Elles représentent, de leur bois simple, l’assemblée des fidèles. Elles sont là depuis des générations ; les pères et les enfans s’y succèdent.


J’ai passé là une journée entière. Les chants ont succédé au silence ; le silence a succédé aux chants. J’étais seul, alors, et je n’entendais, sous la haute nef, que le bruit de mes pas.