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exposés. Adieu le Morvan, c’est la Côte-d’Or. Pourtant, au fond de la vallée il y a un repentir ; la terre est peu perméable ; la prairie reprend, pauvre et d’aspect chétif. Le château de Villeneuve se cache parmi les grands arbres. Nous approchons ; il faut quitter la route. On demande le chemin à un vieux paysan vêtu du sarrau gaulois et coiffé du chapeau noir à ganse qui rappelle le chapeau breton. Il mène en laisse une chèvre qui broute la haie : il finasse, et nous interroge avant de répondre.

Nous avons franchi l’Eau-de-Beaune ; nous allons vers la source de l’Armançon. Nous sommes sur le plateau où les deux pentes se rejoignent insensiblement. Tout près, un village bien pauvre, Meilly-sur-Rouvres. Le chemin se perd, s’arrête, dans les marécages. La voiture ne-peut plus avancer, il faut mettre pied à terre. Ce sont des prairies humides à l’herbe grossière, des terres molles qui cèdent, en giclant, sous le pied, des ajoncs, longtemps cachés dans le mystère des bois. Tout autour, la forêt enserre encore les mauvais terrains, aujourd’hui défrichés. Je pousse une pointe dans le sol boueux et fétide. Au passage, les vaches blanches accourent et regardent en meuglant.

Enfin j’y suis : je viens de quitter les eaux qui vont vers la Loire et qui s’écoulent à Nantes. Voici, maintenant, celles qui vont vers la Seine, les eaux qui passent à Paris. Au fond d’une cuve naturelle, dans la prairie humide et triste, une touffe d’herbes vertes, un tuyau de dix mètres et un petit réservoir de quatre mètres carrés : c’est la source, de l’Armançon, qui recueille les eaux de tous les plateaux environnans et du cirque que je viens de franchir. Les collines nous entourent. Nous sommes bien dans une cuve ; mais cette cuve a. elle-même, de trois côtés différens, son écoulement. Car c’est ici que le parti se dessine et que les eaux, qui paraissent mortes et stagnantes, commencent sourdement la séparation et le voyage qui mènera les unes à la Méditerranée, les autres à la Manche, les autres à l’Océan.

Rien de saillant, ni de brusque, ni même d’accentué dans ce départ des trois grandes vallées. Tout au contraire ; le point est insignifiant, quelconque, négligeable. La source est dans la nature la plus simple, parmi des herbages indifférens ; tout près, un cheval qui paît, des vaches ; sur une ondulation, un berger et son troupeau ; tout autour, des oiseaux qui s’entêtent dans la même chanson. Soudain, c’est le bruit d’un train qui passe. A deux kilomètres, le village d’Essey, malgré le chemin de fer, est la