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France ; et non seulement il n’y a jamais mêlé de considération personnelle, mais, en plus d’une rencontre, il a eu ce courage de subordonner à ce « bien de la France » quelques-unes des convictions qui lui étaient le plus chères. L’ingratitude par laquelle ses contemporains l’en ont récompensé fut un des grands chagrins de sa vie, et sera dans l’histoire un des scandales de notre temps.

C’est qu’à vrai dire on ne l’avait pas compris ! J’ai quelquefois entendu reprocher à ce grand seigneur, qui fut la courtoisie, l’affabilité, la bienveillance même, je ne sais quelle hauteur et quelle morgue aristocratique. Il n’y avait pas de plus étrange méprise ! et, au contraire, on ne pouvait être ni plus simple, ni plus modeste que le duc de Broglie. J’en appelle à tous ses confrères de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques ! Mais on n’a pas compris non plus de quelle manière il aimait la France ; — et, puisque ce n’est pas ici le trait le moins original de sa physionomie, j’y voudrais brièvement insister.

Son premier article, daté du 15 août 1848, était intitulé : De la Politique étrangère de la France depuis la Révolution de Février ; et son dernier travail : le Dernier Bienfait de la Monarchie, était l’histoire de la formation du royaume de Belgique. Le choix de ces sujets n’est-il pas caractéristique ? et ne le devient-il pas plus encore si l’on se rappelle que, ce qu’il s’est proposé d’étudier dans ses travaux sur Marie-Thérèse et Frédéric II, c’est le changement d’alliances qui, dans le cours du XVIIIe siècle, a modifié les conditions de l’équilibre européen ? Je me rappelle à ce propos une phrase qu’il avait souvent à la bouche, et qui exprimait le fond de sa pensée : « L’ancienne France, disait-il, ou à peu près, était un organisme dont tout l’effort et toute l’activité tendaient à l’extérieur. » Il entendait par là que, pour cette ancienne France, — la France d’Henri IV et de Richelieu, la France de Mazarin et de Louis XIV, et il n’eût pas craint d’ajouter la France de la Convention et de l’Empire, — sa raison d’être, sa sécurité, le libre développement de son génie, sa prospérité matérielle, son expansion au-delà de ses frontières, tout cela n’avait dépendu et ne dépendait dans l’avenir que de sa puissance militaire et diplomatique. Héritier de toute une race de généraux et d’ambassadeurs, ses traditions de famille, éclairées par l’étude de l’histoire et confirmées par le spectacle des événemens contemporains, l’avaient convaincu que le solide fondement de la grandeur nationale et le principe fécond de son progrès, c’est, en tout temps et par tout pays, l’autorité diplomatique et la puissance militaire. Ne sont-ce pas elles qui de nos jours ont fait ce