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autorité. Les questions sociales avaient été aussi l’objet de ses études : il a écrit sur Proudhon deux volumes qui sont certainement ce qu’on peut lire de plus complet sur le célèbre, original et puissant sophiste. Avec lui, une lumière s’éteint.

M. Le Cour Grandmaison était par-dessus tout un homme pratique. Il s’était formé dans les affaires : il était armateur. Mais son esprit s’élevait au-dessus de ses occupations professionnelles, et, tout en restant exact et précis, il ne se contentait pas d’exposer, il voulait conclure ; il ne se contentait même pas de conclure, il voulait remonter aux principes et en éclairer tout son sujet. La confiance de ses compatriotes, qui le connaissaient bien, l’avait fait entrer dans nos assemblées politiques. Au Sénat, où il prenait part à toutes les grandes discussions d’affaires, M. Le Cour Grandmaison était, en dehors de toutes les opinions politiques, universellement apprécié de ses collègues. Il laisse un vide dans cette Revue où l’on a pu apprécier la solidité de son instruction et l’activité d’une intelligence qui se portait avec aisance sur tant d’objets différens.

Que dire de Mme Caro ? Son premier roman, le Péché de Madeleine, avait paru ici, il y a maintenant plus de trente-cinq ans. Au succès éclatant qu’il a obtenu, s’ajoutait l’attrait du mystère, car il était signé d’un pseudonyme. On sentit tout de suite que nous avions un romancier de plus, et que, s’il n’avait pas la puissance des plus grands, il ne cédait à aucun autre pour la fine analyse des sentimens délicats, la bonne et saine qualité du style, enfin la distinction et la grâce. On sut bientôt que l’auteur de cette œuvre charmante était la femme d’un des plus brillans écrivains de la seconde moitié du siècle, car Mme Caro avait trop de simplicité et de vraie modestie pour se cacher longtemps. Elle a écrit de nombreux romans ; ils sont tous, pour ainsi dire, de la même famille littéraire ; on se plaît avec eux comme dans une société qu’on aime, comme on se plaisait dans celle de l’auteur lui-même, femme de cœur et d’esprit, recherchée dans tous les milieux où l’on pense et où l’on cause, et qui y manquera désormais. Elle ne manquera pas moins à cette Revue, à qui elle a donné le meilleur de son talent, et où elle continuait un nom resté cher à nos lecteurs.


FRANCIS CHARMES.