Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Beaconsfield, — elle est passée aux conservateurs. Elle se défiait de ce qu’il y avait d’aventureux dans la politique intérieure de Gladstone, et distinguait mal ce qu’il y avait de chimérique dans la politique extérieure de Disraeli. Il semble même que l’homme, chez Gladstone, lui ait inspiré des préventions peu favorables. Mais, quelles qu’aient pu être alors ses préférences ou ses antipathies, jamais à leur tour les libéraux n’ont eu le moindre reproche à lui faire, au point de vue de la correction de son attitude envers eux. Soixante-trois ans de ce régime, sans interruption ni défaillance, ont donné comme une consécration définitive à cette constitution britannique qu’on ne songe pas à réviser, parce qu’elle n’est heureusement pas écrite, et qu’elle est tout entière dans les traditions et dans les mœurs. C’est là le second et très grand service que la reine Victoria a rendu à son pays. Elle a prouvé que cette constitution, ainsi comprise et ainsi appliquée, était la plus souple du monde, qu’elle pouvait servir aux plus grandes réformes, qu’elle se prêtait à tout, qu’elle n’était impropre à rien. Nul pays, en effet, n’a plus progressé que l’Angleterre depuis que la reine Victoria est montée sur le trône, et nul non plus, sans agitation ni secousse, n’a fait de révolutions politiques plus profondes, sinon plus hardies.

Pour ce qui est de la politique extérieure pendant le règne de la reine Victoria, elle a été presque constamment pacifique. Il n’y a eu qu’une exception, celle de la guerre de Crimée, où la France et l’Angleterre ont uni leurs forces contre la Russie, pour la défense de la Porte ottomane. Que les temps sont changés ! Ils le sont même à ce point qu’on a souvent le tort de juger les événemens de cette époque d’après les intérêts nouveaux qui se sont créés depuis, ce qui estime manière de n’y rien comprendre. La guerre d’Orient n’a été alors une faute, ni pour l’Angleterre, ni pour la France. Rarement notre situation en Europe a été plus grande qu’après le traité de Paris. Nous nous sommes même immédiatement réconciliés avec la Russie, qui nous boudait depuis 1830, et, si de nouveaux nuages se sont élevés plus tard entre elle et nous, ce n’est pas des souvenirs de la guerre de Crimée qu’ils sont sortis. Mais n’insistons pas sur cet épisode historique : il n’a pas dépouillé le règne de la reine Victoria du caractère pacifique qui reste le sien. On savait qu’elle aimait la paix, et sa présence sur le trône était, pour sa conservation, une garantie précieuse. Sans doute, en 1870-1871, l’Angleterre n’a pas fait ce qu’elle aurait pu et dû faire, soit pour empêcher la guerre d’éclater, soit pour en abréger la durée. Elle n’a pas compris que l’affaiblissement de la