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honorait, enrichissait de son talent le pays qui l’avait adopté ? Et qui, enfin, mérite mieux ce titre que tel israélite, dont la vie se dépense en œuvres charitables ou en travaux utiles à l’avancement de la science française ? Ceci soit dit pour écarter du début les questions confessionnelles et les généralisations iniques : nos suspicions ne visent que l’esprit cosmopolite, commun à des réfractaires de toutes les Eglises, hostile à l’ensemble de nos traditions, agressif et destructeur de ces traditions.

Si le nationaliste est bon philosophe, — tout arrive, même cela, — il peut invoquer en outre le droit de l’inconscient contre le droit de l’intelligence. Au milieu du dernier siècle, on n’avait d’adoration que pour l’intelligence, sous la forme où elle brillait le plus souvent en ce temps-là ; on lui demandait l’agilité du sens critique et analytique, la perception rapide et l’association ingénieuses d’une infinité d’idées. Un homme habile à ce petit jeu cérébral montait aux nues. Vers la fin de ce siècle, les philosophes de tout pays ont remis en honneur l’inconscient. Ils ont exalté l’instinct aux dépens de l’intelligence, qui avait cessé de plaire ; ils y ont vu les sources réelles de la force, pour laquelle le monde professait un grand culte, et les profondes réserves de la vitalité des races. Je crois qu’ils n’ont pas trop mal vu. On ne les avait d’ailleurs pas attendus pour sanctionner le droit de l’inconscient, s’il est vrai que le suffrage universel ne soit pas autre chose que la reconnaissance de ce droit.

Laissons les philosophes à leurs disputes. De quelque façon que la justice idéale décide entre ces divers droits, les pasteurs des peuples doivent compter avec les faits. Et c’est un fait considérable que le nombre, que la volonté d’une nation qui se sent et se dit maîtresse sur son sol. Le nationalisme est un mouvement grégaire. Chaque berger, sait combien sont irrésistibles et redoutables ces mouvemens instinctifs d’un grand troupeau, qui va devant lui où on le pousse, aperçoit soudain l’abîme, recule en désordre, n’écoute plus aucune voix, renverse et broie ses conducteurs dans sa course de panique et de colère. — Une conviction rassure les fermiers très avisés qui se sont fait adjuger la tonte du troupeau. Eblouis par la puissance des grands courans cosmopolites, — j’énumérais plus haut les forces convergentes qui en précipitent la vitesse, — persuadés que ces courans rompront toutes les vieilles digues et submergeront prochainement le monde du XXe siècle, 1rs audacieux qui en