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difficile de faire ici les distinctions nécessaires. Libéral est le maître hospitalier qui ouvre aux visiteurs les portes de sa maison : insensé celui qui en livre les clefs à des hôtes douteux. Un chef d’industrie habile emploie les meilleurs matériaux, sans égard à leur provenance ; il ne soutire pas qu’un étranger lui dicte des règlemens, ni que cet intrus bouleverse les coutumes de l’atelier. Par aveuglement, par faiblesse, pour toute sorte de raisons plus ou moins avouables, les chefs changeans et vacillans de l’atelier français ont méconnu ces règles de bon sens. L’instinct national a eu d’abord l’intuition, l’esprit éveillé a la vue chaque jour plus nette d’une invasion cosmopolite dans l’Etat français, d’une domination sournoise et parfois déclarée qui s’installe au cœur même de cet Etat, dans toutes les cellules de notre organisme : enseignement, administration, judicature, Nuances, diplomatie. Chaque jour, quelqu’un des citoyens optimistes ou somnolens qui n’y voulaient pas croire a les yeux dessillés par un petit fait personnel ; un incident fortuit lui montre soudain les avenues barrées, les places occupées ou assiégées par une camarilla.

Visions imaginaires ! répondent en ricanant ceux qui n’ont pas encore vu, ceux qui ont intérêt à ne point voir, à empêcher que l’on ne voie. Autant que j’aie pu observer, ces négations brutales de l’évidence ont pour effet d’irriter les gens les plus rassis ; le mensonge nous fâche plus que les menées qu’il dissimule. Nous sommes moutonniers, nous supportons beaucoup, mais nous n’aimons pas qu’on nous en conte. Qu’il y ait une forte part d’exagération dans les griefs du nationalisme, que des hallucinés en arrivent à voir le cosmopolitisme partout, j’en tombe volontiers d’accord : j’ai combattu plus haut l’excès de cette prévention. Mais on nous fera difficilement croire qu’il ait suffi d’un fantôme sans réalité pour émouvoir aussi profondément une grande nation. Je ne parle point ici, je le répète, d’un parti politique dont l’action sur le pays est encore problématique. Je parle d’un état d’esprit qui peut fort bien ne pas se traduire par le vote. Le vote est un acte de routine, subordonné à mille considérations de crainte, d’intérêt, d’attachement à une formule ou à un homme. L’état d’esprit ne se trahit souvent que par ces plaintes ou ces menaces vagues dont il semble que le sourd murmure aille grossissant, par cette phrase devenue contagieuse dans les milieux-où on l’attendait le moins : « Ils en feront tant… »

Soit, diront ceux de nos contradicteurs, et ils sont rares, qui