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AU SEUIL D’UN SIÈCLE

COSMOPOLITISME ET NATIONALISME

Les fils d’Adam seraient-ils devenus plus réfléchis ? Ou seulement plus craintifs ? Bon nombre d’entre eux franchirent avant nous la borne conventionnelle d’un siècle. Exception faite pour les croyans épouvantés de l’an 1000, il ne semble pas que nos pères aient ressenti le frisson mystérieux qui agitait naguère les chroniqueurs parisiens, ni qu’ils se soient abandonnés comme nous à l’exaltation mélancolique du navigateur, quand son vaisseau passe la ligne et s’oriente sous les constellations australes. C’est peut-être que dans leur simplicité, et quoiqu’ils n’eussent pas eu l’honneur de naître au siècle de la science, nos précurseurs étaient plus profondément imbus que nous ne le sommes nous-mêmes du premier principe scientifique, la loi de continuité qui régit l’univers. Autant que le meilleur darwinien et avant lui, ils tenaient ferme à l’axiome fondamental de la scolastique : natura non facit saltus, la nature va tranquillement son petit bonhomme de chemin. Il faut croire aussi que ces honnêtes gens entraient dans l’inconnu du calendrier avec une confiance allègre, fort diminuée chez leurs descendans. La mélancolie de ceux-ci provient sans doute du sentiment que Bassompierre observait chez le roi Philippe III, l’un des moroses souverains qui bâillaient leur vie dans la décadence de la monarchie espagnole : « Il eut plusieurs vomissemens, avec un flux de ventre, accompagnés d’une grande mélancolie, que lui causait une