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célébrés, peu s’en fallait, qu’obéissant à un accès de rigorisme étrange, il ne fît au poète un crime d’oser désormais les chanter. Et tout à l’heure, ou à l’instant même, ne venons-nous pas de le voir passer du désespoir le plus profond à la plus entière allégresse ? Il est vrai que, s’il n’y a pas de disposition d’esprit qui soit plus propre à faire le malheur d’un homme, en le donnant comme en proie à ses impressions les plus fugitives, il n’y en a pas non plus qui soit plus favorable au développement de la sensibilité poétique. Et c’est ainsi que, de l’auteur de l’Olive et des Vers Lyriques, le séjour de Rome, les ennuis mêmes de sa situation, et les tracas de sa vie domestique allaient, dégager un nouveau Du Bellay.

Aucun de nos Français, en son temps, n’a mieux senti la grandeur de Rome, non seulement en poète, mais vraiment en artiste, ne l’a plus admirée dans la splendeur de ses ruines, n’en a rendu plus éloquemment l’incomparable majesté.


Telle que dans son char la Bérécynthienne,
Couronnée de tours, et joyeuse d’avoir
Enfanté tant de Dieux, telle se faisait voir.
En ses jours plus heureux, cette ville ancienne :
Cette ville, qui fut plus que la Phrygienne.
Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du monde, et ne se peut revoir
Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.
Rome seule pouvait à Rome ressembler,
Rome seule pouvait Rome faire trembler :
Aussi n’avait permis l’ordonnance fatale
Qu’autre pouvoir humain, tant fût audacieux,
Se vantât d’égaler celle qui fit égale
Sa puissance à la terre et son courage aux cieux.


Il exprime encore la même idée d’une autre manière :


Qui voudrait figurer la Romaine grandeur
En ses dimensions, il ne lui faudrait querre,
A la ligne et au plomb, au compas, à l’équerre,
Sa longueur et largeur, hautesse et profondeur.
Il lui faudrait cerner d’une égale rondeur,
Tout ce que l’Océan de ses longs bras enserre,
Soit où l’astre annuel échauffe plus la terre,
Soit où souffle Aquilon sa plus grande froideur.
Rome fut tout le monde et tout le monde est Rome,
Et si par mêmes noms mêmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourrait passer,