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est-ce qu’il essaye, comme nous dirions, de noter une « impression de nature ? » Ku aucune manière ! Il fait de l’art ; il encadre un bas-relief antique dans l’architecture de ses vers, — « deux colombs amoureux qui se baisent, » les « longs embrassemens d’un cep lascif » autour d’un ormeau ; — et, de même qu’au sculpteur ou au peintre, ses sentimens ou ses idées ne lui servent que d’un prétexte à faire briller toute la virtuosité de son exécution. On aurait d’ailleurs tort de le lui reprocher. Il fallait commencer par le commencement, et se rendre maître de la langue et du vers avant que de vouloir leur faire exprimer des idées.

Notons encore un autre trait, — et disons que si la Délie de Scève ou l’Olive de Du Bellay n’avaient peut-être jamais existé, ce ne serait pas une raison de nier la sincérité des sentimens du poète. La lire de Noves elle-même a-t-elle été l’unique inspiratrice des Sonnets de Pétrarque ? Mais plutôt, je croirais qu’il lui a rapporté, comme à une maîtresse idéale ou fictive, la diversité de ses sensations ou de ses désirs d’amour. En tout cas, c’est ce que nous pouvons dire, et avec bien plus de certitude encore, de nos poètes de la Pléiade. Leurs amours n’ont pas été précisément des amours imaginaires ; ils ont connu, ils ont éprouvé la joie ou le désespoir d’aimer. Les vertus ou les grâces qu’ils ont chantées dans leurs Cassandres ou dans leurs Pasithées, ils en ont vraiment subi l’influence, le charme insinuant ou vainqueur, et, pour n’avoir pas toujours été très aristocratiques, peut-être, ou pour s’être même adressées quelquefois à des « objets » un peu vulgaires, leurs expériences passionnelles n’en ont pas été moins réelles. Ils les ont alors épurées, spiritualisées, idéalisées, chacun d’eux à sa manière, mais tous en se composant, ou en choisissant autour d’eux une idole qui ne fût pas indigne de l’ardeur de leurs soupirs ou de l’excès de leurs lamentations. Leur amour a créé son objet, la fonction a créé son organe ; et n’est-ce pas nous qui sommes un peu grossiers de ne voir qu’artifice, rhétorique, ou convention, dans ce procédé d’art ? Pour ma part, j’estime qu’au contraire il n’y en a pas de plus légitime, s’il n’y en a guère dont la souplesse et la largeur puissent mieux concilier les exigences de l’ « imitation, » et les droits de l’idéal. Chez nous, — comme en Italie d’ailleurs et comme en Grèce, — l’art classique a toujours maintenu son droit de « perfectionner la nature, » et d’apprendre d’elle à la dépasser.