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Mais a-t-on vraiment, sans s’en douter, la mémoire si précise et si littérale, et des sonnets entiers, qui ne sont point de vous, vous « coulent-ils de la plume » avec tant de naïve et d’inconsciente facilité ?

Ajoutez que ce ne sont pas les Italiens seulement dont il s’est inspiré, mais aussi les Français, nos Lyonnais, Pontus de Tyard et Maurice Scéve. La Délie de Scève, nous l’avons dit, est la première de ces maîtresses réelles ou imaginaires qu’un poète ait chantées dans un recueil consacré tout entier à leur gloire ; et puisque, d’autre part, il n’y a pas moins de platonisme que de pétrarquisme proprement dit dans l’Olive de Du Bellay, il n’a fait en ce point que suivre encore Scève et Pontus de Tyard, dont le premier livre d’Erreurs Amoureuses avait paru vers la fin de l’année 1549, — c’est-à-dire entre la première édition de l’Olive, à cinquante sonnets, et la seconde, celle de 1550, à cent quinze. Observons de plus que, si le nom d’Olive fait songer à la Laure de Pétrarque, il passe en même temps pour être l’anagramme du nom d’une demoiselle de Viole, comme Délie, nous l’avons vu, était l’anagramme de l’Idée. Et puisque enfin, dans le Canzoniere de Pétrarque, les sonnets sont entremêlés de Canzoni, de ballades[1] et de madrigaux, c’est encore Scève qui a le premier introduit l’habitude, avec ses 449 dizains, de composer tout le poème d’amour en vers de la même mesure et en pièces de la même facture.

Toutes ces imitations, dont l’art ingénieux nous semble peu compatible avec la spontanéité de sentimens qu’inspire un véritable amour, ont fait douter de la réalité de Mlle de Viole ; et, d’une manière générale, toutes ces Délie, ces Olive, ces Pasithée, ces Cassandre, ces Francine n’ayant peut-être ; pas existé, on en a conclu que tous ces poèmes on leur honneur, à commencer par l’Olive, n’étaient que de la rhétorique. Ce n’est pas s’en faire une juste idée. Mlle de Viole n’a peut-être pas existé, et, à vrai dire, les grâces apprêtées ou convenues dont Du Bellay la pare en ses

  1. Il ne faut pas d’ailleurs confondre la Ballata de Pétrarque et de Dante avec celle de nos Villon ou de nos Eustache Deschamps. On en trouvera la définition dans le De Vulgari Eloquio, et le modèle dans la Vita Nuova :
    Ballata, io vo’ che tu ritruovi Amore
    La Ballade écossaise, anglaise ou allemande, — la Ballade légendaire, celle de Bürger ou de Schiller, — est encore une troisième espèce, qui n’a rien de commun avec les deux autres.