petit bonze. Je n’offense pas les dieux : l’indo est fait ! — Ah ! le coquin ! Et quel indo as-tu fait, je te prie ? — J’ai dit à cette carpe, répond gravement Ickyu : « Tu vis et même tu te sauverais volontiers. Mais l’eau de l’étang est bien sale et il vaut mieux pour toi que tu descendes dans mon estomac… » Et cependant la carpe attestait par ses tressaillemens qu’elle n’était point de cette opinion.
Comment ce même Ickyu, fâché que le peuple lui attribuât des miracles, voulut le guérir de son imbécile crédulité, comment il annonça que tel jour, à telle heure, il mangerait des poissons et les rendrait vivans, et, comment, après les avoir mangés sous les yeux écarquillés de la foule, il entreprit d’aller les rendre, je le raconterais si je disposais du vocabulaire de Panurge. Et je dirais aussi de quelle façon ce brave homme de moine fit sa prière un jour devant une femme endormie, comme devant la porte merveilleuse par où le Bouddha et le grand Confucius sont entrés dans ce monde. Un de nos compatriotes, dont les lettrés japonais apprécient eux-mêmes l’expérience et l’érudition, avançait un jour que notre parler du XVIe siècle traduirait comme de cire ces contes et ces fabliaux. O buveurs de saké, gens du Nippon, nos frères jaunes, se pourrait-il que, dans une existence antérieure, nous eussions vendangé de compagnie et, sous la treille gauloise, mêlé nos brocs et nos chopines ? Il me paraît que vous titubez encore de notre antique et joviale ivresse.
Ce n’est pas seulement de l’accent, de la mimique et du geste que les diseurs de yosé enrichissent leur matière. Servis par une langue très souple, naturellement verbeuse, et qui, malgré son manque de pronom relatif, peut se développer en périodes d’une facilité et d’une ampleur déconcertantes, surexcités par un public dont ils doivent ménager l’attention et dont le rire ou les larmes stimulent leur initiative, ces improvisateurs rencontrent dans la libre carrière où court leur fantaisie une variété de sentimens et d’émotions que nous refusent trop souvent le théâtre et le roman classiques. A leur voix les héros conventionnels se dégourdissent, les personnages même d’arrière-plan s’individualisent. Si le conteur a besoin de modèles, cent modèles animés posent sous ses yeux. L’auditoire collabore avec lui. La foule qu’il retrouve tous les soirs lui sert de décor houleux, où ses rônins, ses geishas, ses marchands, ses rufians, ses ivrognes font leurs caravanes. Je ne pense pas que la littérature