inconnue, se déguise à peine dans leurs petits contes, éclate le plus souvent dans leurs romans et leurs pièces dramatiques. On rapporte que jadis un héros du nom de Motomé, chargé de tuer l’Impératrice, en séduisit la fille qui déroula pour lui un long peloton de fil à travers les corridors dédaléens de la demeure impériale. Mais Omiwa, la fiancée de Motomé, jalouse, attacha un second fil au vêtement du héros et le suivit à son insu. Vous voyez ce que devient le fil d’Ariane chez les Japonais : il se double. Supposez maintenant que le père d’Omiwa, inquiet de sa fille, use du même subterfuge, et que son peloton raccroche derrière lui des femmes curieuses et des passans inoccupés, et que tous ces gens unis par un lien si frêle pénètrent dans le palais, et que les fils se rompent : ce sera l’image du mélodrame japonais dont les mille incidens n’ont guère de commun que leur procédé générateur. Le dramaturge oublie son sujet primitif pour les autres sujets qu’il y a greffés, comme le romancier se perd en digressions et le conteur s’attarde en parenthèses. Leurs productions sont d’ordinaire invertébrées, et l’unité d’action, qui du moins à la scène nous semble une des lois de l’esprit humain, m’a paru n’être chez eux qu’une préoccupation secondaire.
La raison en vient sans doute de leur imitation servi le et superficielle de la réalité. Je n’ai jamais éprouvé un instant d’ennui au théâtre japonais, car, bien que l’auteur y dispersât mon attention sur une multiplicité d’intérêts divers, je lui rendais grâce de ressusciter pour moi, dans leurs minutieux détails, la politesse et la barbarie du temps féodal et de me mettre sous les yeux des tableaux si précis de la vie quotidienne. C’est au théâtre que j’ai appris coin ment les samuraïs s’entaillaient le ventre et comment les bonnes ménagères cuisinent le riz. J’ai assisté à des classes faites par les maîtres d’école dans les anciennes Terakoya, et, lorsque nos élèves fixent des cocottes en papier au des de leurs camarades, ils se conduisent comme des cancres japonais. Les poètes dramatiques m’ont révélé les splendeurs de Yoshiwara, cette grande cité aphrodisienne aux portes de Tokyo. Le temps qu’une courtisane met à sa coiffure, je le sais, et de quel pas elle marchait jadis, quand, l’obi noué sur le ventre, recouverte d’une chape pontificale, les cheveux auréolés de dèches d’or, elle enjambait l’air avec ses hautes getas. J’ai constaté que les assassins du Japon apportent dans l’accomplissement de leur œuvre les mêmes scrupules que les nôtres à souffler les lumières