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allait apporter à l’humanité la grande nouvelle d’où daterait l’ère future,

« Moi, Zarathoustra, l’affirmateur de la vie, l’affirmateur de la douleur, l’affirmateur du cercle, — c’est toi que j’appelle, toi la plus profonde de mes pensées !…

« Tout va, tout revient, la roue de l’existence tourne éternellement.

« Tout meurt, tout refleurit ; éternellement coulent les saisons de l’existence.

« Tout se brise, tout se reconstruit ; éternellement se bâtit la même maison de l’existence.

« Tout se sépare, tout se réunit de nouveau ; l’anneau de l’existence se reste éternellement fidèle à lui-même.

« À chaque moment commence l’existence ; autour de chaque ici tourne la boule là-bas. Le centre est partout. Le sentier de l’éternité est tortueux[1]. »

Que le concept mathématique d’élémens finis, combinés dans le temps infini et l’espace infini, ait pu paraître si nouveau à Nietzsche et exciter à ce point son enthousiasme ; que sa doctrine du surhomme ait abouti à nous représenter le surhomme lui-même comme un mirage éphémère, qui s’est produit déjà un nombre infini de fois et a disparu un nombre infini de fois, qui se reproduira de même infiniment pour disparaître non moins infiniment, et que cette conception de l’éternelle identité, qui est celle de l’éternelle vanité, ait pu sembler à Nietzsche la plus haute idée de la vie, c’est ce qu’il est difficile d’expliquer sans admettre déjà je ne sais quoi de trouble dans ce cerveau en perpétuel enfantement.

Nietzsche » comptait sur l’analyse spectrale pour confirmer sa vision du monde ; » il comptait « sur la physique et les mathématiques réunies, » — lui qui avait représenté toutes ces sciences comme roulant sur des notions absolument illusoires ! Est-il donc vrai que le grand dogme de la religion prétendue nouvelle eût pu être confirmé par ces sciences ? Est-il vrai que le monde soit voué à une répétition continuelle, à une sorte d’écholalie, comme ces malheureux fous qui redisent sans cesse la même phrase ou se font l’écho de toute phrase dite devant eux ? — À vrai dire, nous n’en savons rien et le prophète de l’éternel retour n’en sait pas plus que nous. Mais le philosophe peut ici dire son mot. Les spéculations de ce genre, en effet, sont

  1. Ainsi parla Zarathoustra, trad. H. Albert, 309.